Gérard Houllier ne marchera jamais seul

Publié le 14 décembre 2020 - Bruno Colombari, Richard Coudrais - 1

Gérard Houllier est décédé le 14 décembre 2020. Il avait été à la tête des Bleus de 1988 à 1993, d’abord comme adjoint de Michel Platini, puis ensuite comme sélectionneur principal. Mais c’est en club, avec le PSG, Liverpool et Lyon qu’il a été au sommet.

7 minutes de lecture

Lorsqu’on l’interrogeait sur son expérience en équipe de France, Gérard Houllier aimait beaucoup résumer les choses ainsi : “Le jour ou je serais décédé, les télévisions passeront en boucle le but de Kostadinov”. Les médias fort heureusement ne se permettront pas cette infamie ce 14 décembre 2020 où est annoncé la disparition, à 73 ans, de l’ancien sélectionneur des Bleus.

Il est vrai que le passage de Gérard Houllier en équipe de France a été marqué par cette élimination rocambolesque fin 1993, les Bleus étant privés de Coupe du monde américaine alors qu’il leur suffisait de battre Israël ou, à défaut, de prendre un point contre la Bulgarie lors des deux derniers matchs à domicile.

Le contexte de son arrivée

Gérard Houllier n’a jamais été un footballeur de haut niveau. Instituteur puis professeur d’anglais, le modeste joueur amateur se révèle un très bon entraîneur. Il dirige successivement les clubs du Touquet (amateurs), puis Noeux-les-Mines (Division 2), le RC Lens (Division 1) puis le Paris Saint-Germain qu’il conduit à son premier titre de champion de France en 1986.

L’ancien professeur intègre ensuite le giron fédéral en devenant l’adjoint de Michel Platini, intronisé sélectionneur national en novembre 1988 suite à l’éviction d’Henri Michel. Les rôles entre les deux hommes sont clairement définis : Houiller prend en charge l’entraînement des joueurs et l’analyse du jeu des adversaires, en somme tout ce que Platini ne se sent pas à même d’assumer.

La première mission du duo est de qualifier l’équipe de France pour la Coupe du monde 1990, ce qui se soldera par un échec. L’équipe toutefois fait preuve d’indéniables progrès. Platini et son adjoint forment même une équipe type à partir d’un duo d’attaque Papin-Cantona et d’une ossature défensive à forte couleur marseillaise.

Cette équipe est loin de pratiquer un football de l’époque Platini joueur, mais elle convient parfaitement à Platini sélectionneur ainsi qu’à son adjoint. Misant sur la contre-attaque et l’efficacité de son redoutable duo d’attaquants, elle aligne une impressionnante série de résultats positifs, et notamment un grand chelem (8 victoires sur 8) en éliminatoires de l’Euro 1992.

Le tournoi en Suède sera pourtant un échec complet. L’équipe, constituée pour réaliser des “coups” ne tient pas la route dans le cadre d’une phase finale, d’autant que le sélectionneur en place démontre un certain détachement. Une fois l’élimination consommée, il cède sa place à son adjoint.

Son apport

C’est le sélectionneur le plus bref depuis 1967 (quinze mois entre son premier et son dernier match dirigé, d’août 1992 à novembre 1993) et la trace qu’il laissera dans les livres d’histoire du football est évidemment la toute dernière minute de son mandat sur le banc, celle de France-Bulgarie dont il disait, dans « Au coeur des Bleus » de Vincent Duluc, « je pense qu’on le passera en boucle le jour de ma mort, ce but » [de Kostadinov]. Les douze rencontres qu’il a dirigées ont mal commencé (deux défaites inaugurales au Parc face au Brésil et à Sofia contre la Bulgarie) et mal fini (deux échecs cuisants à domicile contre Israël puis la Bulgarie), mais entre les deux, les Bleus ont enchaîné huit matchs plutôt satisfaisants, du moins en terme de résultats (sept victoires, un nul), qui auraient dû assurer la qualification pour la Coupe du monde 1994.

D’ailleurs, quand on regarde l’effectif qu’il avait à disposition, il y avait vraiment de quoi faire quelque chose aux Etats-Unis, surtout quand on sait que la Suède et la Bulgarie, qualifiées devant la France, ont atteint toutes deux les demi-finales de l’épreuve. Cantona, Papin, Ginola, Roche, Guérin étaient là, ainsi que les futurs cadres Deschamps et Blanc ainsi que les nouveaux venus Djorkaeff, Desailly ou Lizarazu. Si on ajoute Lama et Petit, voire même Thuram, Barthez, Dugarry ou Zidane, qui allaient tous débuter en 1994, tous les espoirs étaient permis.

Mais Gérard Houllier, comme l’avait d’ailleurs fait Platini avant lui, pensait que pour marquer des buts au haut niveau, il fallait aller le plus vite possible une fois le ballon récupéré, quatre passes et six secondes maximum. Autrement dit, le rôle des milieux était moins de construire que de transmettre le ballon aussi vite que possible aux deux pointes (Papin et Cantona).

Ce qui aura manqué à Gérard Houllier, outre un minimum de réussite lors des deux défaites de l’automne 1993, aura été une gestion du groupe plus ferme. Alors que Parisiens et Marseillais ferraillaient dans le vestiaire, et que le public du Parc sifflait Papin et Cantona suite aux déclarations de Ginola (joueur du PSG), Houllier se refuse à prendre la décision qui s’impose : sortir Ginola du groupe. Dans « Au cœur des Bleus », il explique « Je voulais le virer de l’équipe. Deux éléments m’ont freiné : je me suis dit que je pouvais avoir besoin de lui, et je ne voulais pas que la moitié de l’équipe en fasse une victime ». Aimé Jacquet n’aura pas ces états d’âme vis-à-vis de Cantona en 1996, ni Deschamps avec Benzema vingt ans plus tard.

Le tournant

Plus que les deux défaites de l’automne contre Israël et la Bulgarie, c’est sans doute le match de Solna contre la Suède, le 22 août 1993 qui a cassé la belle dynamique de la saison précédente. A ce moment-là, Français et Suédois comptent cinq victoires en six matchs et le même nombre de points (10), devant la Bulgarie qui a joué un match en plus. Les Bleus doivent ensuite jouer en Finlande et recevoir Israël avant de terminer contre la Bulgarie à domicile, mais une victoire en Suède serait quasiment synonyme de qualification.

Boli et Petit forfaits, utilisés habituellement dans les couloirs en défense, Houllier place Desailly (pour sa première sélection) arrière droit, le côté gauche étant occupé par Lizarazu (qui a joué 5 fois). Au milieu, pas de Corentin Martins en meneur de jeu mais Franck Sauzée en pointe haute d’un milieu composé également de Deschamps et Le Guen. En attaque, Pedros est chargé d’alimenter le duo Papin-Cantona.

Le plan semble marcher avec une première période à l’avantage des Bleus, mais ces derniers ne parviennent pas à faire la différence. Après la pause, la Suède durcit le jeu, mais Sauzée donne l’avantage à la France d’un missile dans la lucarne (76e). Les Bleus tiennent dix minutes et se prennent un but bête en contre par Martin Dahlin, plus rapide que Roche et qui profite d’une sortie hasardeuse de Lama. 1-1 à l’extérieur, c’est un score correct, mais c’est un point qui manquera cruellement aux Bleus à l’automne, au moment où l’édifice miné par les querelles internes va s’effondrer, à chaque fois dans les ultimes minutes.

Son bilan

Avec sept victoires pour quatre défaites et un nul, le bilan de Gérard Houllier est insuffisant, d’autant que trois des quatre matchs perdus étaient qualificatifs pour la Coupe du monde. Particularités de son mandat très court : seulement deux matchs amicaux (sur 12), un perdu à domicile face au Brésil, un gagné à Caen contre la Russie. Entre les deux, cinq victoires d’affilée en compétition contre l’Autriche, la Finlande, Israël, l’Autriche encore et la Suède.

Ses adversaires

En 12 matchs, Gérard Houllier n’a rencontré que sept adversaires. S’il compte deux victoires sur deux contre la Finlande, et l’Autriche, c’est la Bulgarie qui a été pour lui un véritable cauchemar en lui gâchant aussi bien ses débuts (défaite à Sofia en septembre 1992 pour son premier match en compétition, 0-2) que sa sortie (nouvelle défaite 1-2 au Parc en novembre 1993). Il a aussi perdu contre le Brésil et face à Israël, les deux fois à domicile. Le Parc n’était vraiment pas son jardin, là où pourtant il avait été champion de France avec le PSG sept ans plus tôt.

Ses joueurs

En seulement 18 mois et douze rencontres, Houllier a testé 31 joueurs différents et en a lancé 16 : William Prunier, Laurent Fournier, Jean-Luc Sassus, Jérome Gnako, Xavier Gravelaine, Christian Karembeu, Bixente Lizarazu, Bernard Lama, Patrice Loko, Paul Le Guen, Corentin Martins, Jean-Luc Dogon, Reynald Pedros, Marcel Desailly, Vincent Guérin et Youri Djorkaeff. Soit quelques ratés (Prunier, Sassus et Dogon, une seule sélection, Gnako 2, Fournier 3) et 5 futurs champions du monde (Karembeu, Lizarazu, Lama, Desailly et Djorkaeff), en plus de ceux qui avaient débuté avec Platini (Blanc, Deschamps et Petit).

Son équipe-type

Pour l’essentiel, il s’appuie sur l’ossature construite par Michel Platini pendant quatre ans, qu’il amende par petites touches avec dans les cages Lama à la place de Martini, et les arrivées de Lizarazu en défense et Le Guen au milieu. Mais sa colonne vertébrale est platinienne avec Roche, Blanc, Deschamps, Sauzée, Cantona et Papin.

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Son type dans l’équipe

Didier Deschamps. Non seulement le Marseillais joue tous les matchs, mais il ne manque que deux petites minutes, les deux dernières en Finlande en septembre 1993 où il est remplacé à la 88e par Paul Le Guen, une fois la victoire acquise (2-0). C’est peut-être d’ailleurs un signe du destin : après avoir sorti pour la première (et dernière fois) son joueur fétiche, Gérard Houllier a perdu les deux matchs suivants.

Déjà indispensable avec Platini (il n’avait manqué que deux matchs en 1990), le milieu basque, devenu capitaine à l’OM et auréolé d’un titre de champion d’Europe en club, prend une dimension supérieure avec Houllier. Il a d’ailleurs rappelé, réagissant au décès de son sélectionneur, une anecdote à l’époque où Houllier était l’adjoint de Michel Platini, en mars 1989 : « Gérard a joué un rôle important dans ma carrière de joueur, puisqu’il a été l’initiative de cette première sélection. »

Et après ?

En dépit de son échec cuisant, Gérard Houllier poursuivra sa carrière de DTN en dirigeant jusqu’en 1998 les équipes de jeunes de la FFF dont les U18 en 1996 et son incroyable ligne d’attaque Anelka, Henry, Trezeguet avec laquelle il gagne le championnat d’Europe de la catégorie. Puis il rejoint le Liverpool FC. Sur les bords de la Mersey, il glane de nombreux titres en 2001, notamment la Coupe de l’UEFA, la FA Cup et la League Cup (sans oublier la Community Shield et la Super-Coupe d’Europe).

C’est à cette période aussi qu’il connait une première alerte de santé, étant victime d’une crise cardiaque en plein match et étant conduit d’urgence à l’hôpital. On le retrouve malgré tout à la tête de l’Olympique Lyonnais entre 2005 et 2007, à qui il donne deux titres supplémentaires de champion de France. Il enchaîne avec un second mandat de DTN (2007-2010), un passage à Aston Villa et un statut de directeur sportif au New York Red Bull (jusqu’en 2016).

Le tableau de ses joueurs

Nom sel
RL
Tps jeu G N P Buts Cap. Sel.
total
Didier Deschamps 12 1078 7 1 4 0 0 103
Franck Sauzée 12 998 7 1 4 3 1 39
Jean-Pierre Papin 11 969 6 1 4 5 11 54
Alain Roche 10 834 5 1 4 1 0 25
Laurent Blanc 10 814 5 1 4 3 0 97
Eric Cantona 9 810 6 1 2 7 1 45
Emmanuel Petit 9 702 5 0 4 0 0 63
Paul Le Guen 8 720 5 1 2 0 0 17
Bernard Lama 8 675 5 1 2 0 0 44
Basile Boli 7 601 5 0 2 0 0 45
Bixente Lizarazu 7 445 5 1 1 0 0 97
David Ginola 6 395 2 0 4 1 0 17
Pascal Vahirua 6 172 3 1 2 0 0 22
Bruno Martini 5 405 3 0 2 0 0 31
Marcel Desailly 4 360 1 1 2 0 0 116
Jean-Philippe Durand 4 278 2 0 2 0 0 26
Xavier Gravelaine 4 233 4 0 0 0 0 4
Corentin Martins 4 227 4 0 0 0 0 14
Reynald Pedros 4 194 2 1 1 0 0 25
Bernard Casoni 3 270 2 0 1 0 0 30
Laurent Fournier 3 158 1 0 2 0 0 3
Jocelyn Angloma 2 180 2 0 0 0 0 37
Patrice Loko 2 28 2 0 0 0 0 26
Vincent Guérin 2 11 1 0 1 0 0 19
William Prunier 1 90 0 0 1 0 0 1
Jean-Luc Sassus 1 90 1 0 0 0 0 1
Christophe Cocard 1 65 0 0 1 0 0 9
Jean-Luc Dogon 1 29 1 0 0 0 0 1
Jérôme Gnako 1 27 1 0 0 0 0 2
Christian Karembeu 1 18 1 0 0 0 0 53
Youri Djorkaeff 1 4 0 0 1 0 0 82

Ses matchs comme sélectionneur de l’équipe de France (1992-1993)

12 rencontres, 7 victoires, 1 match nul, 4 défaites

# Genre Date Ville Adversaire score
505 Amical 26/08/1992 Paris (Parc) Brésil 0-2
506 qCM 09/09/1992 Sofia Bulgarie 0-2
507 qCM 14/10/1992 Paris (Parc) Autriche 2-0
508 qCM 14/11/1992 Paris (Parc) Finlande 2-1
509 qCM 17/02/1993 Tel Aviv Israël 4-0
510 qCM 27/03/1993 Vienne Autriche 1-0
511 qCM 28/04/1993 Paris (Parc) Suède 2-1
512 Amical 28/07/1993 Caen Russie 3-1
513 qCM 22/08/1993 Solna Suède 1-1
514 qCM 08/09/1993 Tampere Finlande 2-0
515 qCM 13/10/1993 Paris (Parc) Israël 2-3
516 qCM 17/11/1993 Paris (Parc) Bulgarie 1-2

Vos commentaires

  • Le 16 décembre 2020 à 15:18, par Nhi Tran Quang En réponse à : Gérard Houiller ne marchera jamais seul

    Si Houiller se base sur l’ossature de Platini (avec en tête de file, Papin Cantona, Deschamps, Sauzée voire Boli) lors des premiers matches (notamment les 4 premiers durant l’année 1992), au fil des matches suivants au cours de l’année 1993 il s’en détache en remplaçant match par match certains joueurs (notamment certains marseillais comme Durand, Casoni, voire Angloma & ainsi Martini) par d’autres (les parisiens Le Guen, Lama)
    Par contre je ne suis pas d’accord quand on cite le nom d’Alain Roche dans la colonne vertébrale « platiniene » sur laquelle Houillier a basé pour batir son équipe. Il est vrai que Houillier a relancé la carrière en équipe de France d’Alain Roche en lui « offrant » 10 sélections sur 12 possibles. mais il n’a jamais été un joueur important (2 sélections entre 1988/89) lorsque Platini a sélectionneur même si Alain Roche a débuté sa carrière en bleu sous son mandat. Par contre citer Boli oui il a été un joueur important lors du mandat de Platini & ainsi lors du mandat Houiller même si Basile a manqué les derniers matches de l’année civile 1993.

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