A la fin de cette saison 1954/1955, l’équipe de France est sur une belle dynamique. Elle a disputé quatre rencontres et n’en a perdu aucune. Au-delà des chiffres, les Tricolores ont signé deux exploits mémorables : une victoire (3-1) chez les champions du monde allemands en octobre puis une autre (2-1) sur terrain adverse, en Espagne.
La rencontre des invaincus
Pour leur cinquième et dernier match de la saison, les Français reçoivent l’équipe d’Angleterre le 15 mai 1955 à Colombes. Cinquante-cinq mille spectateurs environ remplissent les tribunes du stade Yves-du-Manoir, autant pour voir les vedettes qui composent l’équipe britannique que pour célébrer les joueurs de l’équipe de France.
Celle-ci a beaucoup gagné en cohésion. Depuis l’intronisation d’Albert Batteux comme entraîneur, au début de l’année 1955, les sélectionneurs s’efforcent d’appeler un grand nombre de joueurs du Stade de Reims, alors sur le point de remporter le troisième titre de champion de l’histoire du club. Outre l’ossature rémoise, une équipe se dégage avec Remetter, Marche, Jonquet, Louis et Vincent, qui n’ont manqué aucune des cinq rencontres de la saison, mais aussi Bieganski, Penverne et Glowacki, qui en sont à leur troisième sélection d’affilée, et enfin Raymond Kopa, vingt-trois ans, nouvelle étoile du football français, qui n’a manqué qu’une seule rencontre, celle d’avril contre la Suède. Les Anglais redoutent particulièrement le jeune attaquant français, que le journaliste Desmond Hackett, du Daily Express a surnommé « Napoléon » à la suite d’une performance exceptionnelle deux mois plus tôt en Espagne.
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Lire l’article 17 mars 1955 : Napoléon Kopa conquiert Madrid
Face aux tricolores se dresse une équipe qui ne manque pas de bons joueurs : Billy Wright, Duncan Edwards, Nat Lofthouse et l’inoxydable Stanley Matthews, toujours international alors qu’il vient de dépasser les quarante ans. Depuis sa défaite historique de novembre 1953 contre la Hongrie, mais aussi depuis ses échecs en Coupe du monde, l’équipe d’Angleterre est à la recherche de sa grandeur passée. Elle est sur une série de cinq victoires consécutives et entame contre la France une tournée de trois rencontres en Europe, qui va l’emmener à Madrid trois jours après Colombes puis à Porto le dimanche suivant.
Un pénalty pour Napoléon
Du fait de l’absence du Nancéien Roger Piantoni, les sélectionneurs ont fait appel à René Bliard à qui Albert Batteux fait jouer un rôle inhabituel de relayeur aux côtés du Lensois Xercès Louis. Le Niçois Joseph Ujlaki est quant à lui rappelé un an après sa précédente convocation.
Le match se déroule sous une pluie battante, mais les joueurs français ne galvaudent pas la rencontre pour autant. La sélection tricolore fait jeu égal avec son adversaire. Contrairement à l’histoire militaire qui commande aux Anglais de tirer les premiers, c’est Jean Vincent qui allume la première mèche en envoyant un tir que la gardien Bert Williams est tout heureux de voir rebondir sur son poteau.
Après vingt minutes de jeu, l’ailier gauche Frank Blunstone est fauché par Guillaume Bieganski, mais Emil Schmetzer, l’arbitre allemand de la rencontre, laisse le jeu se poursuivre. En revanche, un quart d’heure plus tard, l’arbitre accorde bien un penalty quand Jean Vincent est fauché par le défenseur Peter Sillett. Cette décision déclenche la colère des médias anglais qui soupçonnent l’homme en noir de partialité : “Bousculades et coups de coude, les Français ont été autorisés à user de toutes les voies continentales en matière d’obstruction, mais le plus anodin plaquage anglais a été sanctionné” fera remarquer le Daily Mirror du lendemain.
Loin des polémiques, Raymond Kopa se charge de la sentence. C’est son troisième pénalty avec les Tricolores, qui lui permet d’inscrire son onzième but en Bleu en dix-neuf sélections.
Le Sorcier et le Sanglier
Si Kopa suscite l’admiration de la foule, l’attraction de la rencontre reste Stanley Matthews, immense vedette du football anglais. Le Sorcier du dribble livre un duel homérique avec Roger Marche, le Sanglier des Ardennes. Émoussé par une saison éprouvante où son club de Blackpool s’est battu jusqu’au bout pour éviter la relégation, l’Anglais ne parvient pas à prendre à défaut le capitaine des Tricolores. Celui-ci, à trente et un ans, n’est plus qu’à trois sélections du record détenu par Etienne Mattler, lequel avait lui-même affronté Stanley Matthews en son temps, lors du France-Angleterre de 1938.
La rencontre reste intense en seconde période. Les hommes de Walter Winterbottom jouent toujours dans un WM qui semble moyenâgeux face au 4-2-4 concocté par Albert Batteux. Au centre de l’équipe, Xercès Louis fait preuve d’une activité qui impressionne les journalistes britanniques. Les Français se montrent entreprenants, notamment Kopa et Vincent qui voient leurs tentatives repoussées par le poteau. René Bliard aurait pu lui aussi alourdir le score. Le Rémois se retrouve seul devant Williams, mais voyant le gardien n’effectuer aucun geste, il croit que l’arbitre a sifflé un hors-jeu. C’était juste un coup de bluff du gardien anglais.
Les Anglais connaissent alors une bonne période après l’heure de jeu. Wilshaw envoie un ballon en profondeur à Lofthouse qui voit son tir repoussé par Remetter. Le gardien français intervient ensuite devant Wilshaw à la suite d’une action initiée par Edwards et Revie. Enfin, à un quart d’heure de la fin, Matthews parvient à se défaire de Marche et centre pour Lofthouse, lequel parvient à prendre Remetter à défaut. Mais Armand Penverne, surgi de nulle part, sauve sur sa ligne.
L’Angleterre gagnée par le doute
Le score (1-0) en reste là. Lorsque Emil Schmetzer siffle la fin de la rencontre, les Français exultent. Le public de Colombes réclame un tour d’honneur aux hommes d’Albert Batteux, lesquels ne bouderont pas leur plaisir. Pour la première fois depuis la saison 1911/1912, l’équipe de France termine la saison invaincue. Elle signe sa quatrième victoire en vingt-trois confrontations contre les Anglais, après celles de 1921, 1931 et 1946.
Le coup est dur pour les Anglais, qui voient leur série de victoires interrompue. C’est aussi la première fois qu’ils ne parviennent pas à inscrire le moindre but aux Français. La suite de la tournée des hommes de Walter Winterbottom ne sera pas loin du fiasco avec un match nul à Madrid (1-1) et une défaite (3-1) à Porto. Soit aucune victoire en trois rencontres. Une contre-performance mise sur le compte de l’exigeant championnat anglais.
Six Français vainqueurs de Colombes seront présents trois ans plus tard en Suède, pour une épopée qu’on est encore loin d’imaginer en 1955, même si cette sélection française affiche de belles promesses. Côté Anglais, seuls le capitaine Billy Wright et le défenseur Peter Sillett seront présents en Suède. Roger Byrne et Duncan Edwards manqueront à l’appel, disparus dans l’accident d’avion qui décimera l’équipe de Manchester United le 6 février 1958 à l’aéroport de Munich.
France bat Angleterre 1-0
Buts : Kopa (37’ sur pénalty)
FRANCE : Remetter - Bieganski, Marche, Penverne, Jonquet - Louis, Bliard - Ujlaki, Glovacki, Kopa, Vincent. Entr : Albert Batteux.
ANGLETERRE : Williams - Sillett, Byrne, Flowers - Wright [cap], Edwards - Matthews, Revie, Lofthouse, Wilshaw, Blunstone. Entr : Walter Winterbottom.
Arbitre : Emil Schmetzer (RFA)
54.696 spectateurs
Joueur | Âge | Poste | Sélections | Club |
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François Remetter | 26 ans | Gardien | 11/26 | FC Sochaux |
Guillaume Bieganski | 22 ans | Défenseur | 4/9 | Lille OSC |
Roger Marche | 31 ans | Défenseur | 43/63 | Racing Club de France |
Armand Penverne | 28 ans | Défenseur | 15/39 | Stade de Reims |
Robert Jonquet | 30 ans | Défenseur | 32/58 | Stade de Reims |
Xercès Louis | 28 ans | Milieu | 5/12 | RC Lens |
René Bliard | 22 ans | Milieu | 2/7 | Stade de Reims |
Joseph Ujlaki | 25 ans | Attaquant | 12/21 | OGC Nice |
Léon Glowacki | 27 ans | Attaquant | 7/11 | Stade de Reims |
Raymond Kopa | 23 ans | Attaquant | 19/45 | Stade de Reims |
Jean Vincent | 24 ans | Attaquant | 9/46 | Lille OSC |