Jean Tigana, le poumon du Carré magique

Publié le 23 juin 2025 - Richard Coudrais

Né deux jours après Platini et trois jours avant Bossis, Jean Amadou Tigana reste une figure majeure du football français des années 1980, et notamment de l’équipe de France, dont il fut un membre du Carré magique.

7 minutes de lecture

C’est une histoire qui aurait dû rester privée, mais que des joueurs de l’équipe de France ont souvent raconté dans leurs mémoires [1]. Au cours de la Coupe du monde 1982, après la rencontre du premier tour remportée (4-1) face au Koweït, les hommes de Michel Hidalgo fêtent l’anniversaire de Michel Platini (21 juin) et celui à venir de Maxime Bossis (26 juin). Une belle soirée avec musique, gâteaux et bougies, confirmant une ambiance retrouvée au sein des Bleus, après les tensions qui ont brouillé les premiers jours.

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Un jeudi à Bamako

Deux jours après la petite fête, à la fin du repas, Jean Tigana pose sur la table une pomme au-dessus de laquelle il a dressé une bougie : “C’est mon anniversaire aujourd’hui” grince-t-il à l’assemblée stupéfaite, puis gênée. Jean Tigana est en effet né le jeudi 23 juin 1955, deux jours après Platini et trois jours avant Bossis. Rarement dans l’histoire le football français n’a connu une semaine aussi prolifique. Et tout aussi rarement le staff de l’équipe de France n’a été aussi honteux d’un tel oubli vingt-sept ans plus tard !

Entre Joeuf et Saint-André-Treize-Voies se trouve donc Bamako. C’est en effet au Mali, ou plus précisément dans le Soudan français, comme on l’appelait à l’époque, qu’est né Jean Amadou Tigana. Son père est natif de Kayes, une ville de l’ouest du pays. A l’âge adulte, il rejoint Marseille où il rencontre sa future épouse. Le couple se marie en 1944, durant la Libération. Deux enfants naissent de cette union avant que les Tigana décident de rejoindre Bamako, en 1947. Leur troisième enfant nait en 1955, Jean Amadou. Quand viennent les premiers combats pour l’indépendance, l’engagement public du père en faveur du pays colonisateur oblige la famille à retourner dans l’hexagone. La famille rejoint Marseille en 1959.

Doué pour le football, le jeune Tigana court après ses premiers ballons à l’ASPTT Marseille puis au club du quartier des Caillols, tout en rêvant de jouer à l’OM. Toutefois, aucun recruteur ne s’intéresse à ce gamin trop frêle pour devenir professionnel. Lorsqu’il est en âge de travailler, il apprend le métier de facteur. A l’âge de vingt ans, il joue pour le Sporting Club de Toulon, club amateur de deuxième division. Il se fait alors remarquer par un certain Aimé Jacquet, qui lui propose de rejoindre l’Olympique Lyonnais, club professionnel de première division.

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Bons débuts à Moscou

Alors que Bossis et Platini disputent déjà leur première Coupe du monde en Argentine, Jean Tigana devient professionnel à l’âge de vingt-trois ans. Ses qualités sont telles qu’il suscite l’intérêt de Michel Hidalgo, l’entraîneur de l’équipe de France. En 1980, celui-ci fait appel au jeune Lyonnais à l’occasion d’une rencontre à Moscou contre l’URSS. L’équipe de France s’incline, mais le 644e joueur de son histoire, aux côtés de Didier Christophe et Michel Platini, fait un match remarquable.

Michel Hidalgo l’embarque pour les éliminatoires de la Coupe du monde 1982. A Chypre pour le 7-0, où il cède sa place à Jean Petit en début de deuxième mi-temps, quand la victoire est acquise, puis face à l’Irlande au Parc. Associé le plus souvent à Platini et Larios, il se montre précieux dans la récupération et fait preuve, en plus d’une technique remarquable, d’un souffle inépuisable en dépit d’un physique poids plume.

Jean Tigana participe à cinq des huit rencontres éliminatoires du Mondial 1982. Les trois où il est absent sont celles que la France perd. A l’été 1981, Aimé Jacquet, désormais entraîneur à Bordeaux, l’appelle pour renforcer le milieu de terrain des Girondins, aux côtés d’Alain Giresse et de René Girard. Au terme de la saison, alors qu’il compte déjà treize sélections, il fait naturellement partie du groupe pour la Coupe du monde en Espagne.

Naissance du Carré magique

Jean Tigana n’est toutefois pas titulaire. A Bilbao face aux Anglais, Hidalgo préfère aligner des joueurs plus physiques comme Larios et Girard. Tigana n’entre que pour le dernier quart d’heure, en remplacement de Larios au sein d’une équipe abattue par de vifs Anglais. Lors des deux rencontres suivantes, alors que Michel Hidalgo a revu sa copie en procédant à plusieurs changements, Tigana n’entre pas dans ses plans. Le sélectionneur fait confiance à un trio qui s’avère très complémentaire, composé de Platini, Giresse et Genghini. Tigana ne fait même pas partie des cinq remplaçants.

Au second tour, l’équipe de France doit affronter l’Autriche à Madrid, mais Platini, touché lors de la rencontre contre la Tchécoslovaquie, ne peut tenir sa place. Hidalgo demande à Tigana de le suppléer numériquement. Le trio Giresse-Genghini-Tigana fait alors merveille et la France remporte une victoire plus nette que ne le laisse penser le score (1-0). Platini étant rétabli pour le match suivant contre l’Irlande du Nord, Hidalgo préfère ne pas avoir à choisir entre Tigana et Platini. Il aligne les deux hommes aux côtés de Giresse et Genghini, quitte à enlever un attaquant et passer à un 4-4-2 dont il n’était pas vraiment partisan.

Le match contre les Nord-Irlandais à Madrid est quasiment parfait (4-1). Tigana assure la plupart des tâches défensives mais ne craint pas de monter aux avant-postes, notamment pour délivrer un centre qu’Alain Giresse reprendra de la tête pour inscrire le quatrième but. Le match suivant, à Séville, permet aux Français d’entrer dans l’histoire. La défaite aux tirs au but est cruelle mais elle donne leurs lettres de noblesse aux quatre hommes du Carré magique.

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Le débordement de Marseille

L’histoire de l’équipe de France se poursuit désormais avec Jean Tigana. Lorsque Luis Fernandez intègre le milieu de terrain tricolore, on aurait pu craindre que cela se fasse au détriment du natif de Bamako. Mais c’est finalement Genghini qui perd sa place. L’Euro 84, remporté par les hommes de Michel Hidalgo, voit la consécration de Platini, mais Tigana s’illustre par son incessante activité et par deux passes on ne peut plus décisives dans les derniers instants de la demi-finale puis de la finale. Son incroyable débordement de la défense portugaise au bout de la prolongation, suivi d’un centre parfait pour Platini, fait désormais partie du patrimoine historique de l’équipe de France.

Deux ans plus tard au Mexique, alors que Henri Michel est le nouveau patron de l’équipe de France, Tigana reste l’un des meilleurs joueurs français là où les leaders Platini et Giresse se montrent moins performants. Le numéro 14 des Tricolores inscrit même son seul but en Bleu, contre la Hongrie d’une frappe du pied gauche après un une-deux avec Dominique Rocheteau. Mais alors qu’ils faisaient partie des favoris pour remporter le trophée, après avoir éliminé l’Italie et le Brésil, les Bleus échouent en demi-finale contre la RFA.

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Jean Tigana poursuit l’aventure au lendemain du tournoi mexicain. Henri Michel lui donne même le brassard lors de la dernière rencontre de la saison, perdue 2-0 à Oslo. Mais l’équipe de France a vu partir Bossis, Giresse et doit faire face aux retraits de Platini et Battiston. Tigana, alors, annonce lui aussi qu’il met un terme à sa carrière internationale, après cinquante et une sélections.

Une sortie contrariée

Privé de ses cadres, l’équipe de France manque la qualification à l’Euro 1988 puis rate ses premiers matchs éliminatoires de la Coupe du monde 1990. Au lendemain d’un match nul à Chypre, Henri Michel est écarté au profit de Michel Platini. L’ancien capitaine des Bleus rappelle son coéquipier, dont il n’est l’aîné que de deux jours, pour mettre de l’ordre dans la maison.

Un an, cinq mois et trois jours après sa dernière sélection, Jean Tigana est de retour sous le maillot bleu, contraint par les règlements que Platini et la fédération n’ont pas hésité à brandir. A Belgrade, le 19 novembre 1988, Tigana donne dès la troisième minute le ballon à Christian Pérez, qui ouvre le score. Le joueur sera ensuite rappelé pour le match contre l’Irlande en février, puis l’Ecosse en mars, mais devra déclarer forfait pour blessure. Le match de Belgrade, en novembre 1988, sera finalement le dernier de sa carrière en bleu.

Un tel monstre sacré aurait mérité une sortie plus digne. Il poursuivra sa carrière jusqu’en 1991 sous le maillot de l’OM de Bernard Tapie. Sa carrière d’entraîneur le conduira à postuler comme sélectionneur en 2004, mais la FFF lui préférera Raymond Domenech.

51 sélections, 1 but

Jean Tigana est le 644e joueur de l’histoire officielle de l’équipe de France. Il compte 52 sélections avec trois sélectionneurs différents. Il a été titularisé 45 fois et compte, selon le site FFF, 4269 minutes en bleu. Il a inscrit un but (contre la Hongrie en Coupe du monde), il a porté le brassard une fois et on lui compte quatre passes décisives.

Sel.MatchDateLieuAdversaireScoreTpsJeuNotes
1 Amical 23/05/1980 Moscou URSS 0-1 90’
. France A’ 02/09/1980 Lille France Espoirs 2-0 90’
2 qCM 1982 [1] 11/10/1980 Limassol Chypre 7-0 51 >
3 qCM 1982 [2] 28/10/1980 Paris (Parc) Irlande 2-0 90’
4 Amical 19/11/1980 Hanovre RFA 1-4 90’
5 Amical 18/02/1981 Madrid Espagne 0-1 > 20
6 qCM 1982 [4] 29/04/1981 Paris (Parc) Belgique 3-2 90’
7 Amical 15/05/1981 Paris (Parc) Brésil 1-3 90’
. Préparation 15/11/1981 Paris (Parc) AJ Auxerre 3-1 -
8 qCM 1982 [7] 18/11/1981 Paris (Parc) Pays-Bas 2-0 > 15
9 qCM 1982 [8]d 05/12/1981 Paris (Parc) Chypre 4-0 90’
10 Amical 23/02/1982 Paris (Parc) Italie 2-0 90’
11 Amical 28/04/1982 Paris (Parc) Pérou 0-1 > 45
12 Amical 14/05/1982 Lyon Bulgarie 0-0 90’
Préparation 29/05/1982 Andorre Andorra CF 2-1 -
13 Amical 02/06/1982 Toulouse Pays de Galles 0-1 > 26
Préparation 08/06/1982 Andorre Andorra CF 2-0 -
Préparation 11/06/1982 San Sebastian Real Sociedad 3-1 >20
14 CM 1982 1t1 16/06/1982 Bilbao* Angleterre 1-3 > 16
15 CM 1982 1t2 28/06/1982 Madrid* Autriche 1-0 90’
16 CM 1982 2t2 04/07/1982 Madrid* Irlande du Nord 4-1 90’
17 CM 1982 df 08/07/1982 Séville* RFA 3-3 (4-5 tab) 90’
18 CM 1982 3p 10/07/1982 Alicante* Pologne 2-3 83 >
19 Amical 31/08/1982 Paris (Parc) Pologne 0-4 90’
20 Amical 06/10/1982 Paris (Parc) Hongrie 1-0 79 >
21 Amical 10/11/1982 Rotterdam Pays-Bas 2-1 90’
22 Amical 16/02/1983 Guimaraes Portugal 3-0 > 27
23 Amical 23/03/1983 Paris (Parc) URSS 1-1 > 45
24 Amical 23/04/1983 Paris (Parc) Yougoslavie 4-0 90’
UNFP 24/08/1983 Toulouse Peñarol (Uruguay) 1-0 90’
25 Amical 12/11/1983 Zagreb Yougoslavie 0-0 90’
26 Amical 29/02/1984 Paris (Parc) Angleterre 2-0 90’
27 Amical 28/03/1984 Bordeaux Autriche 1-0 90’
Préparation 26/05/1984 Andorre Andorra CF 9-0 -
Préparation 29/05/1984 Andorre Andorra CF 5-1 -
28 Amical 01/06/1984 Marseille Ecosse 2-0 90’
29 Euro 1984 1t1 12/06/1984 Paris (Parc) Danemark 1-0 90’
30 Euro 1984 2t1 16/06/1984 Nantes Belgique 5-0 90’
31 Euro 1984 3t1 19/06/1984 Saint-Etienne Yougoslavie 3-2 90’
32 Euro 1984 df 23/06/1984 Marseille Portugal 3-2 (prol) 90’
33 Euro 1984 fn 27/06/1984 Paris (Parc) Espagne 2-0 90’
34 qCM 1986 [2] 21/11/1984 Paris (Parc) Bulgarie 1-0 90’
35 qCM 1986 [3] 08/12/1984 Paris (Parc) RDA 2-0 90’
36 qCM 1986 [4] 03/04/1985 Sarajevo Yougoslavie 0-0 90’
37 qCM 1986 [5] 02/05/1985 Sofia Bulgarie 0-2 90’
38 qCM 1986 [7] 30/10/1985 Paris (Parc) Luxembourg 6-0 90’
39 qCM 1986 [8]d 16/11/1985 Paris (Parc) Yougoslavie 2-0 90’
40 Amical 26/03/1986 Paris (Parc) Argentine 2-0 90’
Préparation 21/05/1986 Tlaxcala Guatemala 8-1 -
Préparation 24/05/1986 Tlaxcala Mexique U20 1-1 -
Préparation 28/05/1986 Tlaxcala UNAM Pumas 0-2 -
41 CM 1986 1t1 01/06/1986 Leon* Canada 1-0 90’
42 CM 1986 2t1 05/06/1986 Leon* URSS 1-1 90’
43 CM 1986 3t1 09/06/1986 Leon* Hongrie 3-0 90’ 1 but
44 CM 1986 hf 17/06/1986 Mexico* Italie 2-0 90’
45 CM 1986 qf 21/06/1986 Guadalajara* Brésil 1-1 (4-3 tab) 90’
46 CM 1986 df 25/06/1986 Guadalajara* RFA 0-2 90’
47 CM 1986 3p 28/06/1986 Puebla* Belgique 4-2 (prol) 83 >
48 qEuro 1988 [1] 10/09/1986 Reykjavik Islande 0-0 90’
49 qEuro 1988 [2] 11/10/1986 Paris (Parc) URSS 0-2 90’
50 qEuro 1988 [3] 19/11/1986 Leipzig RDA 0-0 90’
51 qEuro 1988 [5] 16/06/1987 Oslo Norvège 0-2 90’ (Cap)
52 qCM 1990 [3] 19/11/1988 Belgrade Yougoslavie 2-3 90’

pour finir...

La rédaction de cet article a nécessité la consultation des sites selectiona.free.fr, L’Équipe, FFF, Wikipédia, la relecture d’anciens exemplaires de France-Football, Les Cahiers de L’Équipe, ainsi que des ouvrages « La fabuleuse histoire du football » de Jacques Thibert et Jean-Phlippe Rethacker (Nathan, 1990), « L’intégrale de l’équipe de France de football » de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia (First édition, 1998), « Les 1000 joueurs de l’équipe de France » de Jérôme Bergot (Talent Sport, 2021), « Sélectionneur des Bleus » de Pierre Cazal (Mareuil, 2021), « Le Dico des Bleus » de Matthieu Delahais, Bruno Colombari et Alain Dautel (Marabout, 2017-2018-2022), « Espagne 82, la Coupe d’un monde nouveau » de Bruno Colombari et Richard Coudrais (Solar, 2022), « L’apogée du carré magique » de Patrick Lemoine (Solar, 2024), les éditions 1980 à 1989 de « L’année du football » de Jacques Thibert (Calmann-Levy) et du « Livre d’or du football » de Charles Biétry (Solar). Des informations proviennent également du documentaire « Foot et immigration, 100 ans d’histoire commune » (13 Prods & Canto Bros Productions) d’Éric Cantona et Gilles Perez.

[1Lire « Ma vie comme un match » de Michel Platini/Patrick Mahé (Robert Lafont 1987) et « Le Grand Max » de Maxime Bossis/Emmanuel Faure (Nouvelles sources 2024)

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