21 juin 2000 : Pays Bas-France

Publié le 21 août 2019 - Bruno Colombari

Le seul match de phase finale que les Bleus voulaient perdre, c’est celui-là. Et ils l’ont perdu, après avoir donné des sueurs froides aux Hollandais bousculés par une équipe de coiffeurs superbe et culottée.

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Cet article est publié dans le cadre de la série de l’été 2019, C’était l’Euro 2000.

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Le contexte

La qualification acquise contre la République tchèque, l’objectif de Roger Lemerre est triple : économiser les cadres pour la suite de l’Euro, ne pas dévoiler son jeu contre les Pays-Bas dans la perspective d’une éventuelle finale et surtout jouer la deuxième place pour rester en Belgique lors des deux prochains tours. Pour cela, il ne faut pas gagner, ni faire match nul. D’où une compo PlayStation en 4-1-2-3 à rendre fou Aimé Jacquet, avec Karembeu arrière droit, Pirès seul récupérateur derrière Micoud et Vieira et trois attaquants (Wiltord, Trezeguet et Dugarry).

C’est donc sans doute le seul match de compétition de l’Histoire où l’équipe de France avait pour projet de perdre. Et c’est sans aucun doute le plus beau banc de l’histoire des Bleus, le plus cher aussi : Barthez et Ramé, Lizarazu, Blanc et Thuram, Deschamps, Zidane et Djorkaeff, Henry et Anelka. Et encore, Petit, malade, n’est pas sur la feuille de match.

En face, les Pays-Bas alignent ce qui semble être la plus forte équipe de leur pourtant riche histoire. Demi-finalistes mondiaux en France deux ans plus tôt, les hommes de Frank Rijkaard font peur à voir, avec une ligne d’attaque Kluivert-Zenden soutenue par un milieu Davids-Cocu-Bergkamp-Overmars. Seule la défense, avec Bosveldt et Numan sur les côtés (Stam et De Boer occupent l’axe) et Westerveld dans les cages semble en dessous.

Le match

L’Amsterdam Arena est entièrement orange hormis le virage derrière Vesterweld où sont installés les supporters français. Les Hollandais sont dans la tenue de la finale 74 (avec le short noir), les Français arborant un très élégant ensemble maillot bleu, short et chaussettes blancs. D’entrée les Hollandais pressent les Bleus sur la cage de Lama. Une faute de Candela sur Overmars donne un coup franc à Bergkamp qui trouve la tête de Cocu au second poteau, Lama sauve du genou (6e). Mais la première incursion française dans le camp adverse est la bonne : une passe en profondeur de Karembeu trouve Micoud contré par Numan. Corner. Micoud le tire,et Dugarry, absolument seul sur la ligne des 5,50 m, passe devant Westerveld et smashe le ballon (1-0, 8e). Comme lors des deux premiers matches, les Bleus prennent l’avantage très vite, quasiment sur leur première occasion. C’est le premier but encaissé par les locaux.


 

Ces derniers sonnent la charge et trouvent le cadre par Kluivert (11e) mais Lama arrête. Au milieu, Pirès et Vieira récupèrent tous les ballons et cherchent Micoud ou Wiltord dans la profondeur. Et c’est au beau milieu de la domination française qu’un contre fulgurant est lancé depuis le côté gauche par le trio Davids-Zenden-Bergkamp, conclu par Kluivert (14e, 1-1). On constate les largesses de la défense française et l’inconvénient de jouer avec un milieu offensif en récupérateur et un milieu défensif en arrière gauche (mais vraiment très gauche).

La minute Micoud
Des deux côtés on attaque à tout-va, s’exposant à des contres supersoniques et sautant la construction au milieu pour se projeter le plus vite possible aux abords de la surface adverse. C’est un match PlayStation où Overmars s’offre un petit pont sur Candela à l’entrée de la surface (19e). A la 22e, un centre de Zenden trouve Bergkamp dont la reprise topée lobe Lama et heurte la transversale. Le seul qui est sevré de ballons, c’est David Trezeguet, pris par la tenaille De Boer-Stam et qui se replie de plus en plus pour essayer de participer au jeu. On s’inquiète pour lui dont c’est la première apparition à l’Euro et qui doit absolument marquer des points pour la suite.

Vient alors la minute Micoud, qui fait admirer sa délicieuse couverture de balle et dont le coup franc enroulé à la 29e ne trouve pas preneur. Un instant plus tard, il tente un lob de près de cinquante mètres sur Westerveld qui sort le ballon sous la barre. Corner. Micoud le tire, Stam dégage de la tête, Wiltord frappe et Trezeguet, sur la trajectoire aux six mètres, dévie et marque (31e, 2-1). Les Hollandais réclament un hors-jeu inexistant, Davids remontant du premier poteau au moment du tir. Et voilà comment l’équipe de France des coiffeurs est en train de mener contre le grand favori de la compétition qui joue à domicile...

Passe à dix et Marseillaise
Edgar Davids est furieux. Il engueule tout le monde, l’arbitre, les adversaires, les partenaires et plus généralement l’humanité entière. Il est comme ça le pitbull. Les Bleus, pas intimidés pour deux sous, continuent à gérer, quitte à laisser traîner les jambes au passage d’un Hollandais trop pressé. Et voici des Olé moqueurs qui rythment une jolie passe à dix des champions du monde à la 37e... Il n’était pas question de le perdre, ce match ? Visiblement les Bleus ont mangé la consigne et semblent bien décidés à montrer aux Bataves pourquoi ils ont une étoile sur le maillot. La Marseillaise retentit dans un Amsterdam Arena dépité. Dugarry fait le malin avec des contôles parfaits, des jongles et des dribbles ondoyants qui mettent Numan au supplice. Il se permet même une méchante semelle sur le défenseur, sans conséquence. La mi-temps est un soulagement pour des Hollandais sifflés par leur public à chaque prise de balle.

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Duga manque le break
On imagine qu’à la pause, dans les vestiaires, Roger Lemerre a rappelé à ses joueurs que l’objectif n’est pas de gagner et qu’il serait bien venu de laisser un peu venir les Orange. Mais Pirès et Dugarry, qui s’amusent comme des petits fous et se doutent qu’ils n’auront sans doute pas beaucoup d’autres occasions de le faire, sont à deux doigts d’inscrire un troisième but dès la 48e, la défense hollandaise s’étant mal alignée et laissant Dugarry aller au duel avec Westerveld tout heureux de sortir la tentative du Français. Mais à la 50e, les locaux décident qu’il est temps d’accélérer, et une percée de Davids est stoppée irrégulièrement par Vieira plein axe. De 30 mètres, alors que le mur français (deux joueurs seulement !) n’est pas en place, Frank De Boer place une mine du gauche que Lama touche du bout des doigts et qui termine sous la barre (51e, 2-2). Sans s’être créés la moindre occasion en seconde période, les hommes de Rijkaard reviennent dans la partie.

Karembeu prend les extérieurs
Mais les Bleus ne baissent pas les bras. Un centre-tir de Candela est détourné en corner par Westerveld (52e) et un tir du gauche de Dugarry arrive dans les bras du gardien (57e) alors que les Hollandais passent systématiquement par Zenden à gauche qui bénéficie du marquage élastique de Karembeu. Sur une touche anodine, Vesterweld trouve dans la profondeur Zenden qui perce entre Karembeu (qui marquait la ligne de touche) et Desailly pour fusiller Lama dans la surface (59e, 2-3). En un petit quart d’heure, les Bleus ont rempli le contrat. Il reste une demi-heure à jouer en essayant de ne pas égaliser si possible. Alors, les Français jouent. Les Hollandais un peu moins, ils ne sont pas rassurés face à cette équipe sans complexe qui les met en grande difficulté derrière, Dugarry réclamant un pénalty à la 62e avant d’être remplacé par Djorkaeff à la 67e. Un centre rasant de Wiltord est manqué par Karembeu pour quelques centimètres (74e). Et au terme d’une superbe action collective impliquant Karembeu, Djorkaeff, Veira et Micoud, Trezeguet est lancé plein champ depuis le rond central mais son tir croisé du gauche est bien stoppé par Westerveld (75e).

Deschamps pour la gloire
Berkgamp et Wiltord peuvent sortir, remplacés par Winter et Anelka pour les dernières minutes du match. On gère dans la perspective des quarts de finale tout en se disant qu’on se retrouvera sans doute à Rotterdam le 2 juillet pour jouer le titre. Dans les cinq dernières minutes, Lebœuf est en mode finale 1998 et coupe toutes les trajectoires, même à un contre deux plein axe. Il ne rejouera plus du tournoi mais pourra être fier de lui. Deschamps entre pour les trente dernières secondes, sans doute pour assurer la centième sélection à venir (contre le Portugal en demi). Le public de l’Amsterdam Arena finit le match debout, histoire peut-être de se rassurer car face à une équipe de France B, les Pays-Bas n’ont pas maîtrisé grand chose. Mais tout le monde est content, c’est le principal.

La séquence souvenir

Alors que le premier quart d’heure se termine et que les Bleus s’installent de plus en plus dans la défense hollandaise, un ballon dévissé par Vieira sort en touche. Numan sert Davids dont la louche trouve Zenden. Celui-ci amortit de la poitrine et remet à Bergkamp qui lance immédiatement Kluivert en profondeur. Lebœuf a voulu jouer le hors-jeu, mais l’avant-centre batave est sur la même ligne et file dans le couloir déserté par Karembeu, lève la tête vers Zenden, crochète Lebœuf à l’entrée de la surface pour se mettre sur son pied droit et fusille Lama. L’action a duré 13 secondes et impliqué cinq joueurs sans que les Bleus ne touchent la balle. Les Hollandais reviennent dans le match.

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Le Bleu du match

Robert Pirès. En l’absence de Petit et Deschamps, c’est à lui que Roger Lemerre confie le rôle de demi défensif, avec Vieira à quelques mètres devant lui. Il s’acquitte plus qu’honnêtement de ce rôle en ratissant un maximum de ballons, et jouant à la perfection à une touche de balle et en combinant à merveille avec Vieira, apportant une note technique supérieure à Deschamps, même s’il n’a pas la combativité du capitaine des Bleus. En deuxième période, Patrick Vieira joue plus bas et les Bleus vont abandonner l’axe aux Hollandais, Pirès se plaçant plutôt dans le couloir gauche. Symboliquement, c’est lui qui frappera le dernier dans le match, une volée écrasée dans la surface à la 93e.

L’adversaire à surveiller

Edgar Davids. Il espérait croiser Zinedine Zidane et Didier Deschamps, ses coéquipiers à la Juve. Surnommé le pitbull, il joue avec des lunettes de plongée après avoir été opéré d’un glaucome en 1999. Il a 27 ans et est au sommet de ses moyens. C’est lui qui remonte tous les ballons en début de match, puis qui remonte les bretelles à ses coéquipiers quand ils perdent le fil de la rencontre après le but de Trezeguet. A la 40e il profite d’un arrêt de jeu pour aller recadrer Kluivert, il est à l’origine du coup franc du 2-2 et après le but du 3-2 de Zenden, il est encore là pour secouer tout le monde. A la 66e, Vieira lui met une petite baffe au passage et il se plaint des yeux. Et à la 85e, il trouve encore la force d’aller gratter un corner contre Lebœuf et Desailly.

La petite phrase

Christophe Dugarry dans le 20h de France 2 le 22 juin : « ça nous fait très plaisir de revenir à Bruges, et de jouer contre l’Espagne, c’est une affiche fabuleuse et un match fabuleux à jouer. Les France-Espagne ont toujours été des matches acharnés, difficiles. »

La fin de l’histoire

Sans doute grisés par leur victoire heureuse contre les Bleus, les Hollandais s’enflamment en quart contre la Yougoslavie (6-1) et attendent avec gourmandise de retrouver la France en finale. Mais ils se font piéger en demi par une Italie réduite à dix et qui défend avec acharnement jusqu’aux tirs au but (0-0). Les Bleus, quant à eux, souffrent contre l’Espagne de Raul (2-1) et plus encore contre le Portugal de Figo (2-1 après prolongations) avant de réussir un coup de Trafalgar face à l’Italie en finale (2-1, but en or). Le calcul de Lemerre était le bon.

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