Les premiers Bleus : André François, avant-centre corinthien

Publié le 23 juin 2023 - Pierre Cazal

La présentation d’un des internationaux les moins connus parmi les pionniers d’avant la Grande Guerre est l’occasion de faire un aparté tactique sur l’ancêtre du tiki-taka espagnol, le jeu de passes et d’évitement des Corinthians.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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André François, qui a été sélectionné six fois entre 1906 et 1908, fut le prototype de l’avant-centre du 2-3-5 dit « corinthien », tel que pratiqué avant 1914.

De quoi s’agit-il ? Les Corinthians étaient une sélection des meilleurs amateurs anglais, ne disputant que des matchs amicaux, et souvent en tournées à travers l’Europe et même l’Amérique du Sud (d’où l’appellation du club brésilien des Corinthians de Sao Paulo). Ils refusaient les compétitions, du type championnat ou Coupe, au motif si vrai que l’enjeu tue le jeu. La valeur de cette équipe était telle qu’elle pouvait battre, en 1884, le vainqueur de la FA Cup (à laquelle elle ne participait donc pas), Blackburn, sur le score de 8-1, et, vingt ans plus tard, en 1904, le vainqueur de la même FA Cup, Bury, par 10-3 !

Un système de passes redoublées et triangulées qui a fait mal à l’équipe de France

Les Corinthians vinrent à Paris donner la leçon à l’équipe de France naissante (et officieuse) en 1903 (11-0) et 1904 (11-4) en se livrant à la démonstration de leur jeu, basé sur des combinaisons de passes, et bannissant tout contact physique. Un jeu de possession pure, auquel le jeu espagnol connu sous l’appellation de « tiki-taka » est apparenté.

Dans Très Sport, en 1925, l’ex-international devenu journaliste Lucien Gamblin, nostalgique, écrivait : « si toutes les nations possédaient des équipes du modèle Corinthien, le jeu ne pourrait qu’y gagner : plus de luttes athlétiques où la loi du plus fort est la meilleure, plus de combats, mais des assauts courtois et loyaux, d’où se dégageait un jeu savant, intelligent et agréable à regarder. Voilà ce que nous ne voyons pas », et ce que nous ne voyons pas davantage un siècle plus tard !

Dans ce système, l’attaque « descendait » en ligne, à cinq, et en passes redoublées et triangulées, jusqu’à s’approcher au plus près du but adverse, en éliminant les défenseurs adverses et en ne tirant au but qu’à 3 ou 4 mètres, au plus. Pas de grands coups de botte, le souci de toujours se démarquer, et de trouver le partenaire démarqué, le mieux placé.

L’équipe d’Angleterre amateur (rappelons qu’elle seule était opposée aux équipes européennes, et non l’équipe professionnelle, réservée, sauf exception, au British Home Championship), qui inaugura la série de ses matchs en 1906, contre la France, pratiquait ce jeu, car elle était majoritairement composée d’équipiers du Corinthian FC. André François connut sa première sélection ce jour-là (0-15…).

Une influence marquée dans les clubs du Nord

André François est né le 13 janvier 1886 à Roubaix, la ville lainière possédant le meilleur club français de football du début du siècle : 7 finales consécutives du championnat de France, disputées de 1902 à 1908, dont 5 gagnées ! La proximité du Nord, où se distinguaient également l’US Tourcoing et l’Olympique Lillois, avec l’Angleterre et la Belgique explique l’influence du jeu corinthien, bien moindre à Paris, d’où des oppositions de style, dommageables à la cohésion de l’équipe de France. André François est présenté dans ces termes, avant le match de 1906 contre l’Angleterre : « François est considéré dans sa région comme le prototype de l’équipier, passant le ballon à son voisin quand il ne sera pas à la place favorable pour shooter, chose assez rare. »

L’équipe de France avant son match contre l’Angleterre, le 1er novembre 1906. André François est le cinquième en partant de la droite (BNF, Gallica

Quoique de bonne taille (1,70 mètre, soit 7 cm de plus que la taille moyenne), François n’a rien de l’avant-centre de choc, évoluant en pointe et livrant des duels athlétiques à la Giroud avec les défenseurs adverses. En 1908, on relève le qualificatif suivant, à son propos : « François est le meilleur avant-centre français, son jeu est très fin, son shoot sûr, et il sert ses coéquipiers avec le plus grand à-propos. »

Une finesse technique plutôt rare à l’époque

L’avant-centre « corinthien » (sur le modèle du mythique G.O. Smith) se tient en pointe basse de sa ligne, dont il initie le mouvement en servant un de ses inters ; puis il remonte le terrain pour exploiter la balle servie par ses ailiers, en combinant dans la surface avec ses inters, ou bien en reprenant directement les centres ; lors de Paris-Nord, en 1908, il est précisé que « François a la spécialité de reprendre avec facilité les balles de volée », ce qui exige de la sûreté technique et reste rare, à l’époque. Il marque ainsi un but, sur corner, contre la Hollande.

C’est un avant très complet, car il a le sens du but : il en marquera deux face au CA Paris en finale du championnat de France 1906 (gagné 4-1) et même trois face au Havre AC en demi-finale du même championnat 1908 (4-0). Sous le maillot national, il marquera trois buts, l’un d’eux acquis en chargeant le gardien belge, en 1907, avec l’aide du boulonnais Georges Bon : car si le jeu corinthien préfère l’évitement au duel, la charge à l’épaule, règlementaire, est pratiquée, y compris celle du gardien quand il tient la balle, et François ne s’y dérobe pas.

André François a commencé à se faire une place dans l’attaque du RC Roubaix très tôt : il n’a que 17 ans lorsqu’il joue une demi-finale de championnat de France contre le HAC, en mars 1903, pour suppléer le vétéran Albert Dubly, qui reprendra sa place pour la finale. La fratrie des Dubly (Léon, Albert, Jean, Maurice) charpente le club, et il n’est pas aisé de devenir titulaire dans une équipe dominante comme celle du Racing Club de Roubaix. François y parvient cependant et sera champion de France dès 1904, puis encore en 1906 et en 1908, tout en jouant la finale perdue de 1907 (malgré un but personnel), face à l’autre Racing historique, le Racing Club de France (de Paris).

En 1906, les clubs peuvent refuser la sélection, les joueurs aussi

Avec la retraite de Georges Garnier, titulaire indiscuté du poste en équipe de France, fin 1905, la place est donc libre en sélection, et François aurait dû jouer contre les Belges en avril 1906, mais Roubaix privilégie ses intérêts et refuse de mettre ses attaquants vedettes François et Sartorius à la disposition de l’équipe nationale, au motif que la finale du championnat de France se joue le dimanche suivant. Ce n’est, après tout, que le quatrième match officiel de l’équipe de France, qui ne s’est pas encore imposée dans les esprits au point d’avoir la priorité sur les clubs, plus anciens (1895 pour le RC Roubaix), y compris pour la fédération, l’USFSA, qui n’a pas rendu la sélection obligatoire. Les clubs peuvent donc dire non, de même d’ailleurs que les joueurs, qui sont totalement amateurs encore.

Par contre, François (de même que Sartorius) sera autorisé à jouer contre l’Angleterre en novembre 1906, l’équipe française jouant en chemise rouge à parements blancs (et avec pochette, s’il vous plaît, portant les anneaux entrelacés de l’USFSA), et non en bleu, comme on pourrait le croire sur la photo. Il sera inamovible jusqu’au dernier match officiel de l’USFSA, à savoir contre les Danois en octobre 1908, à l’occasion des Jeux olympiques, et toujours avec son compère Sartorius, ainsi que deux autres de ses coéquipiers roubaisiens (Jean Dubly et Charles Renaux) ; le seul match qu’il manquera, contre les Belges en 1908, ce sera à cause d’une blessure, avec le commentaire suivant dans l’Auto : « L’absence de François dans l’attaque et la faiblesse des demis causèrent un grand désarroi dans notre team ». Sa carrière en équipe de France s’est donc concentrée en deux années à peine, avec deux victoires pour quatre défaites.

Le séjour en Autriche, jusqu’au déclenchement de la Guerre

En 1909, André François, qui est dessinateur sur tissus et ouvrier d’art, part pour ses raisons professionnelles à Vienne, la capitale de l’Empire austro-hongrois alors, un empire cosmopolite et géant qui comprend aussi la Tchécoslovaquie, la Croatie, la Bosnie, la Slovénie, et s’étend sur une partie des actuelles Roumanie et Ukraine. Vienne (Wien) est alors la capitale culturelle de l’Europe autant que Paris, et du point de vue du football, une puissance majeure. Il a pris du galon et y dirige une succursale des établissements Tiberghien. On ignore si François a cherché à jouer dans un club viennois, mais ce qui est certain, c’est qu’il séjourne dans la capitale autrichienne jusqu’en 1914, avec sa femme, et qu’il y était sans doute heureux, jusqu’à ce que l’attentat de Sarajevo déclenche la Guerre, qui va lui coûter la vie.

Il ne rentra en effet en France que pour prendre l’uniforme, sachant que l’Autriche-Hongrie s’étant rangée dans le camp de l’Allemagne (un choix que l’Empire paya cher, puisqu’il fut démantelé à l’Armistice), il n’était plus, à Vienne, qu’un ennemi indésirable. André François fut affecté dans l’artillerie à Verdun, et mourut à l’âge de 29 ans le 17 mars 1915 à l’hôpital de Sainte-Ménéhould, des suites de blessures a priori pas mortelles (fractures du bras et de la main, large plaie à la fesse) et dues à des éclats d’obus, mais vraisemblablement infectées au point de déclencher une septicémie.

Les 6 matchs d’André François avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/11/1906 Paris Angleterre 0-15 90 plus large défaite à domicile
2 Amical 21/04/1907 Bruxelles Belgique 1-2 90 but (72e, centre de Puget)
3 Amical 08/03/1908 Genève Suisse 2-1 90 but (70e, passe de Vandendriessche)
4 Amical 23/03/1908 Londres Angleterre 0-12 90 premier match en Angleterre
5 Amical 10/05/1908 Rotterdam Pays-Bas 1-4 90 but (75e, corner de Hanot)
6 JO 22/10/1908 Londres Danemark 0-17 90 plus large défaite de l’histoire

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