Les premiers Bleus : Fernand Canelle, le meilleur parmi les pionniers

Publié le 6 avril 2023 - Pierre Cazal

Ailier reconverti défenseur, le premier capitaine de l’équipe de France s’est formé au football dans le nord de Londres, à Norwood, a participé aux Jeux olympiques de 1900 dans une sélection française et a enthousiasmé la presse par sa technique très sûre.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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« Votre meilleur joueur est, sans contredit, Canelle », déclare le capitaine de l’équipe de Southampton, George Molyneux, à l’issue de la victoire (6-1) du club professionnel anglais sur l’équipe de France, en mars 1904, qui se testait avant de débuter en match international contre les Belges à Bruxelles. Molyneux n’était pas n’importe qui : authentique international de l’équipe professionnelle d’Angleterre (5 sélections en 1902 et 1903), cet arrière de fort gabarit passait pour le meilleur joueur de tête de son époque. Son jugement, impartial, n’en a que plus de prix, car Fernand Canelle, ce jour-là, évoluait au même poste que lui, à l’arrière.

Donc, nous sommes fondés à considérer Canelle comme le meilleur joueur français des années 1900.

Une bourse linguistique lui fait découvrir le football anglais à West Norwood

Fernand Canelle est né à Paris le 2 janvier 1882, et fit partie du petit noyau de collégiens de Chaptal qui, en 1893, fondèrent un club officieux (car non déclaré et non affilié), intitulé l’Etoile Sportive Parisiennne : voici le témoignage de Georges Duhamel, auteur de la plaquette ô combien précieuse pour connaître l’histoire du football français : Le Football Français, ses débuts (1931). Pour mémoire, Géo Duhamel (1879-1965) fut un des pionniers et l’archiviste érudit de la Ligue de Paris. Il écrit donc ceci : « Au début de 1893, avec des élèves du collège Chaptal, nous créâmes un groupement, l’Etoile. Là, je rencontrai Fernand Canelle — son père était le président —, qui, après un séjour à West Norwood, revint à Paris. »

Norwood était un club des faubourgs londoniens attaché à la prestigieuse public school d’Eton, et le jeune Fernand avait profité d’une des bourses que le Conseil municipal de Paris accordait pour financer des séjours linguistiques en Angleterre. En 1900, le capitaine de l’équipe du Norwood and Selhurst FC, en visite à Paris, déclarait : « Canelle est une vieille connaissance, n’a-t-il pas fait son éducation sportive au Norwood FC ? J’ai été son mentor et suis heureux de constater qu’il se classe parmi les meilleurs avants de France. »

Vainqueur de la Coupe Manier avec le Club Français à 15 ans

Vous avez noté : avants. Car en 1900, Canelle est un ailier gauche classique, qui file comme un zèbre dans le couloir gauche et délivre des centres à qui mieux mieux. Le goût du football, il l’avait pris à l’Etoile, qui avait bien vite fusionné avec le Club Français (ainsi dénommé par opposition aux premiers clubs créés en France, tous anglais : le Standard AC et les White Rovers) ; mais la pratique du jeu, il l’avait acquise à Norwood, au contact des Anglais qui, on le rappelle, avaient développé le jeu dans leurs écoles depuis 1855 environ, soit plus de 35 années avant les Français !

Plusieurs joueurs du Club Français avaient suivi ce cursus, dont le capitaine, Charles Bernat (né en 1876), qui avait étudié au Saint Joseph College de Dumfries, en Ecosse, avant de revenir terminer ses études au lycée Janson de Sailly à Paris, autre centre névralgique du football parisien avec les collèges Chaptal et Rollin ou l’école Monge. Cette expérience anglaise contribua au développement du football en France, et à l’hégémonie du Club Français dans le championnat de Paris, créé en 1894. Canelle n’était encore qu’en équipe seconde en 1896, mais gagna la Coupe Manier en 1897 (il avait donc 15 ans à peine) – la Coupe Manier obligeant les clubs à n’aligner que trois étrangers, alors que la majorité des clubs parisiens en comportaient dix, voire onze !

La sélection française aux Jeux olympiques de 1900. Eugène Fraysse est le troisième au centre en partant de la gauche.
La sélection française aux JO de 1900. Fernand Canelle est au premier rang, en bas à droite.


Retenu dans la sélection française aux JO de 1900

Officiellement (c’est-à-dire pour la FFF), Canelle ne compte que 6 sélections, de 1904 (le France-Belgique initial, pour lequel il sera d’ailleurs capitaine) à 1908 (contre les Pays-Bas), mais c’est négliger toutes les parties considérées aujourd’hui comme officieuses, car datant d’avant 1904. On ne tentera pas d’expliquer ici pourquoi la FFF ne les prend pas en compte, ce serait trop long. Il suffit de savoir que ces matchs sont historiquement importants, car ils ont permis la création d’une équipe nationale, concept qui n’allait absolument pas de soi à l’époque, pour des raisons qui, là aussi, seraient trop longues à exposer.

Les deux premiers de ces matchs sont ceux joués dans le cadre de l’Exposition Universelle de Paris et des Jeux olympiques : à cette occasion, une authentique « équipe nationale représentative » avait été constituée par l’USFSA, et Canelle en fit partie, à l’aile gauche, pour jouer contre les équipes représentant le Royaume-Uni (0-4) et la Belgique (6-2).

Cette première initiative n’eut pas de suite immédiate et n’en aurait pas eu du tout, si Clément Robert-Guérin n’avait pas eu l’ambition de fonder la FIFA pour développer le football international de sélection (et non de club). Il s’ensuivit une série de tests pour cette équipe nationale en gestation, contre des clubs anglais, à savoir les Corinthians (qui représentaient le gratin du football amateur anglais) et Southampton (équipe professionnelle, par contre). Canelle joua donc contre les Corinthians en 1903 (0-11), puis contre Southampton en 1904, mais à l’arrière, ces fois-ci.

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L’Auto du 19 novembre 1908, article de Fernand Canelle (BNF Gallica)

Un ailier devenu latéral, comme Lizarazu ou Jean Djorkaeff

Ce n’est donc pas d’aujourd’hui qu’on peut voir un ailier reculer et se spécialiser à l’arrière, comme Bixente Lizarazu, ou, bien avant lui, Jean Djorkaeff, le père de Youri. En général, c’est parce qu’un joueur ne parvient pas à s’imposer à l’aile qu’il finit par accepter (souvent à contre-cœur) de « reculer » sur le terrain. A contre-cœur, parce que la fonction de défenseur a toujours été perçue comme moins prestigieuse que celle d’attaquant. Mais le cas de Canelle est différent. Il a percé, comme ailier, grâce à sa vitesse et son énergie, a été champion de Paris, finaliste du championnat de France 1900 (gagné par le HAC), et sélectionné en équipe de France ; en 1902 encore, il figurait à l’avant dans l’équipe de Paris allant affronter en Angleterre le club du Marlow FC (0-4).

Mais, dès 1901, dans son club, Canelle avait déjà commencé à abandonner les avant-postes, à 19 ans. Il faisait la paire avec le belge Alfred Block, ou Pierre Allemane, deux athlètes. Canelle, lui, ne mesurait qu’1,69m et ne pesait que 70 kilos environ ; mais j’ai déjà expliqué, dans un article précédent, que la paire d’arrières comportait un arrière dit « fixe », de fort gabarit, et un arrière dit « volant », dont la fonction était de presser le porteur du ballon, et qui devait être mobile, et donc de gabarit plus léger.

« Un joueur impeccable, shooteur parfait »

On ne sait pas pourquoi Canelle a décidé d’abandonner son poste d’ailier, il ne l’a pas expliqué. Mais le fait est qu’à partir de 1903, c’est systématiquement à l’arrière qu’on le retrouve, et qu’il est encore sélectionné. C’est l’arrière Canelle que l’arrière Molyneux a complimenté. Quel est son style ? En 1908, Canelle, qui, au passage, est traité de vétéran (à 26 ans) est décrit comme « joueur impeccable, shooteur parfait, roué à toutes les finesses du jeu de dégagement » — comprendre par-là que, comme Charles Bilot, il ne se contente pas de taper en touche, mais cherche à relancer. En 1922, Edgar Lenglet, dans le Miroir des Sports, le qualifie ainsi : « Canelle, acrobate, faisait ce qu’il voulait de ses deux pieds, prenant la balle dans n’importe quelle position ». Ce qui nous paraît couler de source, pour un international… mais pas en 1900.

Il faut bien avoir conscience qu’à l’époque, le jeu ne dépassait pas, en France, le niveau de celui pratiqué aujourd’hui dans une cour d’école, faute de formation (toujours faite sur le tas) et d’entraînement. Avec son lot de « toiles », de ballons dévissés, de passes ratées, de ballons envoyés au petit bonheur vers l’avant, etc… Dans ce contexte, contôler la balle sans déchet, la reprendre de volée sans la rater ou dévisser le ballon, assurer les passes, c’est une qualité rare dont même les internationaux ne font pas toujours preuve, bien loin de là…

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L’Auto du 9 novembre 1905, article de Fernand Canelle (BNF Gallica)

Auteur d’articles dans L’Auto et d’un livre sur la tactique

Canelle, formé à Norwood, maîtrise ce qui nous apparaît comme le B-A-BA de la technique, et c’est la raison pour laquelle il est qualifié de joueur impeccable, au sens premier, à savoir qui ne commet pas d’erreurs. Mais à la suite d’une blessure en octobre 1908, qui l’empêchera de participer aux Jeux olympiques de Londres, Canelle s’éloigne du haut niveau, même si on le revoit en 1910, par exemple, jouer dans les buts d’une équipe inférieure du Club Français ! Ce n’était d’ailleurs pas une première, puisqu’en 1906 il avait pris la place du gardien de l’équipe de France, Georges Crozier, contraint de quitter ses coéquipiers en cours de match contre la Belgique (0-7, score final).

Fernand Canelle est par ailleurs instruit, et il publie des articles dans L’Auto ; on a déjà vu son compte-rendu du match de 1907, contre la Belgique, où il encensait son coéquipier Georges Bon ; mais il rédige aussi une série d’articles, notamment pour expliquer le fonctionnement du hors-jeu (9 novembre 1905), ou analyser le jeu des arrières (19 novembre 1908), et co-rédige, avec un certain Fernand Bidault, un livre intitulé : La tactique du Football-Association, en 1907.

Farouche partisan de l’amateurisme intégral

A la mort de son père Lucien, en 1905, il reprend la présidence du Club Français et s’en occupera jusqu’à la Guerre, avec son vieux complice Bernat. Par contre, il ne suivra pas ce dernier, lorsqu’il voudra tenter l’aventure du professionnalisme, en 1932. Employé de commerce et représentant en bijouterie, Canelle a toujours été, fidèle à sa formation anglaise, un farouche partisan de l’amateurisme intégral. Et il se dévouera, toujours bénévolement bien sûr, dans le cadre des commissions de la FFF, pour le football corporatif (rebaptisé aujourd’hui football d’entreprise, ça fait mieux…), contribuant à créer une coupe de France corpo, ainsi que des matchs internationaux, à partir de 1926.

Il est mort le 12 septembre 1951, à Rueil-Malmaison : la presse n’y a consacré que deux lignes, en caractères minuscules, pour signaler son enterrement. La mémoire des anciens internationaux ne se cultivait pas, à l’époque. Rendons donc à Fernand Canelle, à retardement, l’hommage que lui avait décerné George Molyneux en 1904 : c’était le meilleur.

Les 6 matchs de Fernand Canelle avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/05/1904 Bruxelles Belgique 3-3 90 Premier capitaine
2 Amical 12/02/1905 Paris Suisse 1-0 90 Première victoire.
3 Amical 07/05/1905 Bruxelles Belgique 0-7 90 Capitaine. Première défaite
4 Amical 01/11/1906 Paris Angleterre 0-15 90 Provoque un pénalty sur une main involontaire. Woodward le tire volontairement à côté
5 Amical 21/04/1907 Bruxelles Belgique 2-1 90 Première victoire à l’extérieur
6 Amical 10/05/1908 Rotterdam Pays-Bas 1-4 90

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