En avril 1937, le jour où l’équipe de France a joué contre Charlton Athletic

Publié le 5 octobre 2022 - Pierre Cazal

A l’approche de la Seconde Guerre Mondiale, entre 1937 et 1939, pas moins de quatre matchs internationaux des Bleus ont été impactés par le contexte politique. Le club anglais de Charlton Athletic a été sollicité à chaque fois pour remplacer une sélection adverse indisponible.

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En avril 1937 était programmé un match France-Italie, une affiche dans la mesure où la Squadra Azzurra dirigée par le mythique Vittorio Pozzo était à la fois championne du monde (1934) et championne olympique (1936). Mais l’Italie est sous l’emprise de Mussolini, qui s’est jeté en 1935 sur l’Ethiopie et a des visées impérialistes en Afrique du Nord ; il a conclu une alliance avec Hitler (« l’Axe » Rome-Berlin) et soutient militairement Franco en Espagne. L’Italie a sombré dans le fascisme, avec ses chemises noires ses Balilla et son salut romain quasi identique au « Hitlergruss », bras tendu. Beaucoup d’opposants se sont réfugiés en France et font savoir leur intention de manifester leur opposition au régime de Mussolini lors de la venue de la Squadra à Paris. C’est dans ce contexte tendu que les Italiens (officiellement ce sera la CONI, le comité olympique italien) déclarent forfait le 8 avril, soit trois jours à peine avant le match.

Désireuse de maintenir un match à la date prévue, la FFFA cherche alors un remplaçant ; elle sollicite d’abord la Roumanie, qui demande cependant une indemnité jugée trop élevée ; puis tour à tour l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas et même… l’Allemagne, affrontée à peine un mois plus tôt à Stuttgart (0-4), en une sorte de match revanche à domicile : en vain.

C’est alors que l’arbitre anglais Stanley Rous (qui sera plus tard président de la FIFA) propose le club de Charlton Athletic, qui n’est pas le plus connu d’Angleterre, mais qui est le club qui monte.

11 avril 1937 : Charlton corrige l’équipe de France

Charlton a terminé premier de la D3 anglaise en 1935, premier de la D2 en 1936, et sera vice-champion de la D1 en 1937, son ascension est fulgurante et son manager, l’ex-international Jimmy Seed, accepte de se déplacer à Paris bien que son équipe ait joué la veille (!) en championnat contre Huddersfield ; la match a donc lieu le 11 avril 1937, il est officieux et ne compte pas pour une sélection pour les bleus qui le jouent , et le perdent sur le score sans appel de 2-5.

Voici les équipes :
France : Di Lorto – Dupuis, Bourbotte, Diagne – Bastien, Gabrillargues – Lauri, Ignace, Courtois, Fructuoso, Veinante.
Charlton : Bartram – Turner , Oakes , Shreeve – Jobling, Ford – Tadham, Robinson, Welsh, Boulter , Hobbis.

  • Match L’intran du 13 avril 1937 (BNF Gallica)

Les Bleus tiennent une mi-temps (2-2) et s’écroulent dans le dernier quart d’heure, encaissant coup sur coup trois buts. Gabriel Hanot, qui commente le match pour le Miroir des sports, ne tarit pas d’admiration pour la puissance physique et le souffle des Anglais : « Nos footballeurs ne sont pas assez athlétiques pour rivaliser avec des adversaires tels que les footballeurs professionnels britanniques disputant un match en pleine saison et avec l’ardent désir de gagner », écrit-il. En tous cas, Charlton donne une cuisante leçon à des Bleus où l’on remarque la présence d’un authentique international argentin (5 sélections) d’origine française et naturalisé, Miguel-Angel (Michel) Lauri. Une leçon de WM : les Anglais le jouent dans l’esprit, en passes longues et rapides, tandis que les Français le jouent comme le 2-3-5 classique, à savoir en passes courtes et latérales, sans percussion.

Deuxième coup dur en mars 1938 : la France devait rencontrer à Paris l’Autriche, le célèbre Wunderteam un peu sur le déclin, certes, et orphelin de son sélectionneur aussi mythique que Pozzo, Hugo Meisl, mais toujours redoutable et admiré pour le beau jeu de passes qu’il propose. Sauf que… Hitler ose un (premier) coup de force et annexe carrément l’Autriche au Reich allemand, c’est l’Anschluss. Le match est annulé le 16 mars, l’Autriche a cessé d’être indépendante, sans grande réaction en Europe (ni aux Etats-Unis, qui ne sont pas encore le gendarme du monde). Alors, rebelote : la FFFA sollicite de nouveau Charlton, qui accepte encore !

  • L’Auto du 20 mars 1938 (BNF Gallica)

24 mars 1938 : l’Autriche annexée, Charlton sollicité, la Bulgarie laminée

Mais cette fois-ci, le match ne se fera pas, parce que les autres clubs de la D1 anglaise s’y opposent, estimant que le championnat serait faussé, l’équipe de Charlton étant forcément fatiguée par son escapade en France. C’est alors que la Bulgarie se propose spontanément : le match est conclu le 19 mars, pour le 24 ! Les Bulgares viennent de battre la Yougoslavie 4-0 et de faire match nul avec les Tchécoslovaques (3-3). L’adversaire, quoique pas de première valeur, est agréé, faute de grives . Dans les faits, l’opposition proposée par les Bulgares n’aura rien à voir avec celle des Anglais du Charlton AC ! Ils seront laminés 6-1. Il faut dire que l’équipe de France n’a elle-même pas grand chose à voir avec celle de 1937 , qu’on en juge :

Di Lorto – Cazenave, Mattler – Bourbotte, Jordan, Diagne – Aston, Heisserer, Nicolas, Aznar, Veinante.

Elle a retrouvé une défense homogène (celle du FC Sochaux au grand complet), un demi-centre athlétique (l’ex-autrichien Jordan, qui avait failli jouer contre ses ex-compatriotes !) et une attaque autrement perçante, où Jean Nicolas et Alfred Aston marquèrent chacun deux fois, tandis que Veinante donnait deux buts et en marquait un. Et surtout, elle ne s’efforce plus de jouer un faux WM. Mais il faut reconnaître que les Bulgares n’ont pas opposé une grande résistance.

Jamais deux sans trois : voilà que la Tchécoslovaquie déclare elle aussi forfait en novembre 1938 pour un match prévu en janvier 1939. Elle a ses raisons, la pauvre Tchécoslovaquie : elle est littéralement dépecée à la suite des accords de Munich (subis par les Anglais et par Edouard Daladier pour la France). Hitler annexe la région frontalière des Sudètes, les Hongrois prennent la Ruthénie de l’autre côté et même les Polonais arrachent leur petit morceau (Teschen) dans ce qui est alors officiellement appelé par les journaux, des « modifications territoriales » ; peu de temps après, ce sera la Slovaquie qui se détachera de la Tchéquie. L’Europe centrale (mal) née du démembrement de l’Empire austro-hongrois est en plein bouleversement… et il y en aura d’autres !

  • L’Auto du 23 janvier 1939 (BNF Gallica)

22 janvier 1939 : la Tchécoslovaquie dépecée, Charlton encore appelé, la Pologne retenue

Que croyez-vous qu’il arriva ? La FFFA se tourna de nouveau vers… Charlton oui, vous avez deviné ! La connexion avec Jimmy Seed, le manager du club, fonctionnait bien. Sauf que encore une fois la FFFA fit chou blanc de ce côté-là, et pour les mêmes raisons qu’en 1938. Alors elle se tourna vers la Pologne, un adversaire nouveau mais qu’on avait vu en France à l’occasion de la Coupe du londe, lors d’un match totalement débridé contre le Brésil qui s’était terminé sur le score étonnant de 6-5 (pour le Brésil, emmené par cet extraordinaire joueur qu’était Leonidas, un Pelé avant l’heure).

Elle se montra moins inspirée, l’équipe polonaise, qui fut balayée 4-0, avec un Emile Veinante déchaîné (deux buts et un de ses fameux corners directs , légèrement repoussé par le gardien polonais et repris par Heisserer). C’était la deuxième sélection d’un Ben Barek étincelant (d’autant plus que les Polonais n’appliquaient pas un marquage serré), qui donna lui aussi deux buts.
L’équipe : Llense – Vandooren, Mattler – Bourbotte, Jordan, Schmitt – Aston, Ben Barek, Zatelli, Heisserer, Veinante.

Ce n’est pas fini : un match avait été prévu à Paris contre… l’Allemagne le 23 avril 1939. En dépit de toutes les infractions au droit international et aux droits de l’Homme commis par Hitler, en dépit de sa politique ouvertement antisémite, le match avait été maintenu tant du côté allemand, dont l’équipe nationale et le sport en général servaient la propagande, que du côté français où l’on campait fermement sur le principe d’apolitisme du sport.

Les deux équipes avaient été sélectionnées, par Sepp Herberger (futur vainqueur de la Coupe du Monde 1954) pour les Allemands et par Gaston Barreau pour les Français :
Darui – Vandooren, Mattler – Bourbotte, Jordan, Diagne – Courtois, Ben Barek, Koranyi, Heisserer, Mathé.
Jakob – Janes, Hermann, Streitle – Kupfer, Kitzinger – Biallas, Hahnemann, Stroh, Gellesch, Urban. (l’équipe comprenait deux Autrichiens, Hahnemann et Stroh).

La location était encore ouverte le 15 avril quand le Ministère des Affaires Intérieures français se décida enfin à l’interdire ; ou plutôt, on parla en termes diplomatiques d’ajournement, comme si ce match était davantage envisageable dans un avenir proche !

  • L’Auto du 16 avril 1939 (BNF Gallica)

21 mai 1939 : l’Allemagne invitée, Charlton comme d’habitude, et finalement le pays de Galles

Bien entendu, qui fut encore contacté, pour voir si jamais ? Charlton, bien sûr ! Mais la FFFA contacta aussi l’Ecosse, proposant la date du 30 avril. Sans succès. Elle se tourna alors vers le pays de Galles, préférant clairement un adversaire britannique, susceptible d’offrir une opposition plus consistante que la Bulgarie et la Pologne. Match conclu, mais pour le 21 mai seulement, trois jours à peine après un match prévu de longue date contre la Belgique le 18 mai. L’équipe de France, en plein boum, gagna du coup les deux ! 3-1 face aux Belges (deux buts de Koranyi et un de Mathé, tous deux d’origine hongroise) et 2-1 face aux Gallois (buts de Bigot et Koranyi encore) ; et avec une équipe qui, par rapport à celle prévue pour affronter les Allemands, ne présentait aucune différence dans la partie défensive mais alignait deux ailiers novices, Bigot à droite , Mathé à gauche.

Bien sûr, la guerre annula d’autres matchs : ceux prévus contre la Belgique (12 novembre 1939), la Suisse (28 avril 1940) – les deux pays s’étant proclamés neutres - et la Pologne (26 mai 1940) – envahie en 1939 par l’Allemagne, ce qui déclencha la guerre - mais il n’était pas question de les remplacer, ceux-là. Le triple match contre la Grande-Bretagne , évoqué dans un article antérieur, n’avait pas pour fonction de les remplacer : il scellait une alliance, c’est très différent, bien que politique.

Et signalons pour terminer que le Portugal, lui, n’annula pas son match de janvier 1940 contre la France, ce qui mérite d’être signalé, et envoya son équipe à Paris, même si c’était la « drôle de guerre » alors !

pour finir...

Lire aussi l’article de Simon Burnton dans The Guardian du 12 avril 2020 (en anglais) : The forgotten story of when Charlton played France and won 5-2

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