Quand l’équipe de France en a eu assez des C

Publié le 9 septembre 2022 - Pierre Cazal

Il y a bien des façons d’explorer les marges de la sélection nationale. Dans le temps, dans l’espace, mais aussi dans l’alphabet. En plus des A, ceux qui vont jouer la Coupe du monde au Qatar, il y a eu des B, rebaptisés A’, mais aussi, le saviez-vous ? Une éphémère équipe de France C.

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On connaît l’équipe de France A : c’est l’équipe dite « représentative » selon la nomenclature de la FIFA, seule habilitée à représenter la France dans les compétitions officielles telles que la Coupe du Monde, l’Euro, etc, depuis 1904.

On connaît aussi (mais moins) l’équipe de France B, catégorie reconnue par la FIFA mais habilitée à jouer seulement des parties amicales. Elle a existé entre 1922 et 2008 (rebaptisée alors A’ pour ménager l’ego des joueurs) et est actuellement délaissée.

Mais sait-on qu’il a existé, à deux reprises, une équipe de France C ?

Pour être juste, cette équipe troisième n’a jamais porté l’étiquette « C », qui ne figure pas dans la nomenclature de la FIFA, pour laquelle une équipe C est une équipe B, il peut y en avoir autant qu’on veut en même temps, peu importe, car l’essentiel est qu’une équipe B est une équipe « non-A », c’est-à-dire sans représentativité. La liste n’est pas close, puisqu’il y a encore les matchs officieux (qui, ô paradoxe, peuvent opposer deux sélections A… lorsque les deux fédérations ne veulent pas qu’ils apparaissent dans leurs palmarès ! Il y a de quoi s’y perdre ? Oui !)

Triple confrontation franco-britannique en février 1940

Examinons concrètement le cas de ces deux équipes C, les choses deviendront plus claires.

Premier cas en février 1940.

C’est la guerre, mais la « drôle de guerre », la guerre sans guerre ! Il ne se passe strictement rien sur le front en France, derrière la ligne Maginot depuis près de 6 mois, les soldats se tournent les pouces pour éviter de geler –car il fait très froid en cet hiver de non-réchauffement climatique- et, pour les occuper autant qu’entretenir le moral et l’amitié franco-britannique (les Anglais ont positionné leurs troupes dans le Nord et les retireront à Dunkerque plus tard, dans les conditions qu’on sait), une série de matchs de football est planifiée.

C’est le colonel T.H. Wand-Tetley, à la tête de l’Army Physical Training Corps basé à Aldershot, qui prend l’initiative en décembre 1939 de proposer à la FFFA « un ou plusieurs matchs entre une sélection britannique et une ou plusieurs sélections françaises », avec l’autorisation accordée par la FA anglaise d’utiliser des professionnels sous les drapeaux. Cette proposition recueille l’assentiment de la FFFA et de l’Armée Française, et c’est le maréchal Pétain lui-même qui suggère d’opposer trois équipes françaises différentes à la sélection britannique, à Paris (11 février 1940), Reims (15 février) et Lille (18 février). Il était même prévu qu’en retour, une équipe française devait venir jouer en Angleterre, dont une fois à Wembley, en avril 1940… mais la guerre était alors devenue active.

La sélection britannique comportait 18 joueurs, dont 15 Anglais, 2 Ecossais (Andy Beattie et Matt Busby, dont le nom doit dire quelque chose aux lecteurs de Chroniques bleues) et un Irlandais (Will Cook), raison pour laquelle les matchs sont tenus pour officieux (classés dans la catégorie des « war-time internationals » par les Anglais), la Grande-Bretagne n’étant pas affiliée à la FIFA, au contraire des quatre nations qui la composent, Angleterre, Ecosse, Galles et Irlande (du Nord).

A ceux qui me feraient observer que, de toute façon, les quatre nations en question s’étaient retirées de la FIFA depuis 1928 et n’y reviendraient qu’en 1946, je répondrai que la FIFA tolérait exceptionnellement les matchs internationaux contre les Anglais, les Ecossais, les Gallois et les Irlandais et les reconnaissait comme officiels, mais pas une sélection mêlant des joueurs de ces différentes nations, encore un paradoxe où se perdre ! Quoiqu’il en soit, ce fut bien l’équipe de France A qui joua le 11 février et fit match nul (1-1), mais le match n’est pas reconnu comme officiel, des deux côtés, d’ailleurs, et donc pas par la FIFA.

Ce n’est pas lui qui nous intéresse, quelque glorieux qu’il ait été (le très grand joueur que fut Tommy Lawton reconnut lui-même, dans son autobiographie « Football is my business », que : « We were very lucky to get away with a draw », traduction : Nous fûmes heureux de nous en tirer avec un nul), pas plus que le match B, gagné par les Britanniques 1-0, une sélection où Gaston Barreau avait retenu de jeunes joueurs comme Mercier, Schmitt, Laune et… Albert Batteux, oui, le futur entraîneur de Reims et des Bleus) ainsi que des joueurs naturalisés désireux de combattre les nazis sous l’uniforme français, tels les ex-autrichiens Odry et Tax.

  • L’Auto du 19 février 1940 (BNF Gallica)

Celui qui nous intéresse, c’est le troisième, joué à Lille le 18 février 1940 devant un parterre de plus de 10000 Tommies, les soldats anglais, et sous l’œil du vicomte Gort, commandant en chef du Corps expéditionnaire britannique en France. C’est dire si l’équipe britannique, quasiment inchangée en trois matchs, était motivée, et, de fait, elle gagna 2-1.

Elle s’alignait dans la formation suivante : Allen – Sproston, Cook – Copping, Cullis, Mercer – Geldard, Welsh, Lawton, Stephenson, Compton. On y trouvait pas moins de 9 internationaux.

Et l’équipe de France C : Darui – Marek, Jasseron – Bourbotte, Verriest, Méresse – Mathé, Siklo, Stanis, Hiltl, Hermant.

Cinq internationaux A dans cette équipe, dont Georges Verriest, qui avait joué la Coupe du Monde 1934, François Bourbotte (remplaçant au pied levé Snella), qui avait joué la Coupe du Monde 1938, plus 3 futurs autres, Lucien Jasseron (futur entraîneur du havre et de l’OL), l’ex- international autrichien Henri Hiltl et le petit Hongrois Siklo (surnom signifiant serpent, il s’appelait Ladislas Smid). S’y ajoutaient l’ex-Autrichien (encore, beaucoup avaient fui l’Autriche après l’Anschluss) Tony Marek et le buteur d’origine polonaise Stefan Dembicki, dit Stanis. Le match se jouant à Lille, Barreau avait inclus huit joueurs du Nord dans l’équipe.
Buts : Louis Hermant (13) Eric Stephenson (22) et Joe Mercer (33).

Un bilan très positif pour cette équipe C, aussi valeureuse que la B (défaite par un seul but d’écart) et à peine moins que la A, qui alignait les meilleurs, qu’on va citer, pour le plaisir : Hiden (le gardien du Wunderteam des années 1930, naturalisé) – Vandooren, Mattler – Bourbotte, Jordan, Diagne – Courtois, Hiltl, Koranyi, Heisserer, Veinante : une des plus belles équipes de France jamais alignées, avec ses quatre naturalisés (trois Autrichiens et un Hongrois)…

Trois France-Yougoslavie en février 1951

Tout autre est le contexte en 1951, pour la seconde et dernière apparition de cette équipe de France C. Là encore, trois équipes de France A, B et C sont convoquées en deux jours, les 6 et 7 février, mais cette fois-ci à trois équipes de Yougoslavie A, B et C.

L’année 1949 avait été désastreuse pour l’équipe de France, tout était à rebâtir, et Paul Nicolas, qui avait pris aux côtés de l’inamovible Gaston Barreau la place de Gabriel Hanot, tâtonnait. Ennemi du WM et du jeu physique qui lui était lié, ainsi que du modèle anglais privilégié par son prédécesseur, il lorgnait du côté du jeu hongrois, dont la réputation était grandissante, avec ses Puskas, Kocsis ou autres Bozsik : mais la Hongrie était désormais derrière le « rideau de fer » qui isolait l’URSS et ses satellites passés sous le joug communiste et n’en sortait pas.

Par contre, la Yougoslavie était, elle, politiquement « non-alignée » tout en étant communiste, et pratiquait un jeu très technique qui séduisait Nicolas. C’est pourquoi il eut l’idée d’organiser une confrontation amicale en profondeur, qui déboucha sur un triple match : c’était l’occasion de sélectionner pas moins de 42 joueurs (avec les remplaçants) et d’en soumettre 33 à un test au niveau international, dans un esprit fondamentalement différent de celui qui avait présidé aux matchs de 1940.

  • L’Equipe du 8 février 1951 (BNF Gallica)

Le 6 février 1951 (mardi-gras) l’équipe de France A battit à Paris celle de Yougoslavie A (auréolée d’un récent match nul, 1-1, arraché aux Anglais), par 2 à 1, à Paris et sous les yeux de Jean Rigal, tandis qu’à Lyon, sous les yeux de Paul Nicolas, l’équipe B était, elle battue 2-3 par son homologue yougoslave, le même jour !

Restait l’équipe C, qui joua le lendemain 7 février à Béziers contre l’équipe yougoslave C, dans les formations suivantes et sous l’œil de Gaston Barreau :

France : Pons – Grillon, Rodriguez, Salva – Firoud, Lamy – Baillot, Mustapha, Rouvière, Vaast, Moreel.

Yougolavie : Krivokuca,- Delic, Milovanov, Broketa – Puksec, Spajic – Antic, Mihajlovic, Valok, Zivanovic, Zebec.

Buts : Moreel (54) Valok (75), Vaast (76) donnant la victoire aux Bleus (2-1).

Satisfecit global, puisque la France l’emportait donc par deux victoires à une, six buts marqués contre cinq…mais coup d’épée dans l’eau. Le football français continuait de montrer les mêmes défauts (une insuffisance technique, un formatage au WM) et les trois équipes avaient développé le même football, avec les mêmes qualités (vitesse et élan) pour compenser leurs faiblesses, d’où un sentiment d’inutilité de cette triple opposition.

La presse fit effectivement remarquer que, si l’équipe yougoslave avait 23 ans de moyenne d’âge, comportant 8 novices et seulement trois joueurs déjà capés (dont Mihajlovic et Valok, qui avaient éliminé la France de la Coupe du monde en 1949, plus Zivanovic, l’auteur du but contre les Anglais), l’équipe française C en affichait 27. En dehors du gardien Antoine Pons et de l’attaquant Marcel Rouvière, ainsi que de Kader Firoud, elle ne comprenait que des internationaux A, dont certains chevronnés : Ernest Vaast comptait 15 sélections (pour 11 buts) André Grillon 12 (il en connaîtra 3 autres après), Henri Baillot 8 (il avait été le héros de deux matches contre la Yougoslavie en 1949)... Ce n’était en rien une équipe d’avenir !

Ce match permit certes à Grillon et Salva de faire leur (bref) retour en équipe de France A en octobre –novembre 1951, de même qu’à Firoud de débuter : mais aucun des trois ne représentait une révélation ni une option pour le futur, de sorte qu’en réalité ce match C ne servit à rien, sinon à montrer la valeur du football français en profondeur, mais une valeur… moyenne.

L’émergence des Espoirs, la disparition des C

Rien ne sert de disposer de 33 (ou 42) joueurs de qualité moyenne, capables certes de faire bonne figure en match international,mais pas de briller : successivement, en cette année 1951 et après le triple test, les Bleus arrachèrent trois matchs nuls (Irlande, Angleterre et Autriche 2-2), perdirent deux fois (Ecosse 0-1, Italie 1-4) et ne gagnèrent que face à la modeste équipe de Suisse (2-1). Il vaut mieux ne disposer que d’une quinzaine de bons joueurs, dont une poignée de très bons… comme les Kopa, Piantoni, Vincent ou autres Cisowski qui firent leur apparition en bleu un an plus tard, en 1952.

C’est en prenant conscience de l’inutilité de cette vaste revue d’effectifs menée sans objectif, et pour tout dire improvisée (les joueurs furent rassemblés le lundi 5 février, veille des matchs du 6, donc pas du tout préparés) que la FFF et son trio de sélectionneurs, chapeauté par Nicolas, changèrent de politique.

La catégorie des juniors existait, ainsi qu’un championnat d’Europe, depuis 1948 ; des joueurs comme Antoine Bonifaci, Jean Vincent ou Pierre Bernard s’y étaient déjà révélés ; mais celle des Espoirs (moins de 23 ans) ne l’avait pas encore été. Elle était dans l’air, du reste : à l’initiative des Anglais, un premier match fut donc organisé en mai 1952, où se révélèrent les talents de Raymond Kopa et de Roger Piantoni, promptement utilisés par l’équipe de France A (dès octobre 1952 pour le premier, novembre 1952 pour le second).

Les Espoirs représentaient l’avenir proche, les juniors, un avenir plus lointain, mais l’intérêt de les repérer, les sélectionner et les aguerrir en match international était bien plus grand que de procéder une revue telle que celle menée en février 1951. D’autres suivirent, mais au compte-gouttes, un, au maximum deux matchs par an, ce qui est insuffisant pour souder une équipe. Cette catégorie attendra 1972 pour que soit organisée une compétition européenne, pour les U23 d’abord, puis U21 à partir de 1978 ; la France n’y brillera que rarement.

On ne revit donc plus jamais d’équipe de France C, et si l’équipe de France B vécu encore quelques temps, le même et inévitable constat d’inutilité finit par être dressé définitivement quoique tardivement en 2008, tandis qu’au contraire se multipliaient les sélections de jeunes, U20, U19, U18, U17…

France C n’est donc qu’une curiosité historique.

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