Les premiers Bleus : Georges Garnier, à jamais le premier

Publié le 30 juin 2023 - Pierre Cazal

C’est le tout premier né parmi les 934 internationaux français, mais lorsque la sélection nationale a fait ses débuts, lui en était plutôt à la fin. Il a d’ailleurs participé au tournoi de l’exposition universelle de 1900, et compte six sélections officieuses.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Georges Garnier est le doyen des Bleus : il est né le 14 mai 1878 et avait donc 26 ans lors du France-Belgique inaugural de 1904 ; il était même en fin de carrière, puisqu’il s’est arrêté à la fin de l’année 1905. Il est en effet du nombre des pionniers du football français et c’est l’occasion d’ouvrir une parenthèse, afin de l’évoquer.

Si les balbutiements remontent à 1872, au Havre (mais y jouait-on au football, ou au rugby, voire à un mixage entre les deux ?), c’est à Paris que tout a commencé, de façon structurée. L’USFSA, fédération omnisport et de création récente (1887), n’a affilié ses premiers clubs de football-association (pour le distinguer du football-rugby qu’elle priorisait) qu’au début de l’année 1894, et, sous leur pression, a organisé un premier championnat an avril, gagné par les Ecossais du White Rovers. C’est que les immigrés britanniques de Paris avaient créé les premiers clubs, dès 1892, le Standard AC (qui existe toujours !) et les White Rovers (dissous en 1898).

Un Communard fonde la Ligue de l’Education physique

Quant aux Français, sous l’égide de la Ligue de l’Education Physique (fondée en 1888 par l’ex-Communard Paschal Grousse, longtemps en exil en Angleterre où il avait pris goût au football), Ligue tournée vers les scolaires, c’est au sein des collèges et des lycées que le football avait pris son essor, à Paris comme ailleurs. On dispose d’un très beau témoignage sur cette époque, avec la plaquette de Géo Duhamel, intitulée : Le Football français, ses débuts (1931).

Né en 1879, le futur secrétaire de la Ligue de Paris y raconte sa découverte du football, sur les pelouses du Bois de Boulogne, de façon informelle d’abord, puis organisée avec l’émergence des premiers clubs français, les premiers véritables matchs interclubs (car initialement on jouait en vase clos au sein d’un même groupe, qui se divisait en deux équipes), ne se comptant que sur les doigts d’une main !

A titre d’information, les deux premiers matchs (officieux, car les équipes n’étaient alors affiliées à aucune fédération) ont opposé les 5 et 27 novembre 1892 les joueurs du Standard (tous Anglais) à l’équipe de la Ligue, formée d’élèves ou d’ex-élèves des lycées Janson de Sailly, Condorcet ou Charlemagne (où l’on trouvait notamment Eugène Fraysse, ce pionnier capital du football français auquel j’ai déjà été consacré un article en bonus de mon livre, Sélectionneurs des Bleus).

Georges Garnier sous le maillot du Club Français le 25 décembre 1904 (BNF, Gallica)

Sur la pelouse de Madrid, au Bois de Boulogne

Georges Garnier, élève au collège Chaptal, n’en faisait pas partie : en 1893, selon Duhamel, on le rencontrait sur la pelouse de Madrid (du Bois de Boulogne…) au sein d’une formation appelée l’Etoile, comptant dans ses rangs les frères Huteau, Canelle, et qui ne tarda pas à fusionner avec les joueurs de la Ligue pour créer le Club Français, ainsi dénommé parce qu’il ne comportait aucun joueur anglais.

Le Club Français s’est affilié à l’USFSA en mars 1894, et dès le 22 avril de la même année, on trouve Garnier à l’aile gauche lors de la demi- finale du championnat tout neuf, aux côtés des Huteau, Bernat, Fraysse, face aux White Rovers, qui ne l’emportent que difficilement, à la 75ème minute, par un but de Mac Bain (1-0). Ainsi est lancée la carrière de Georges Garnier, qui n’a pas encore 16 ans !

Entre 1894 et 1904, date de sa première sélection officielle, la carrière de Garnier s’est bien remplie : il a remporté le championnat de Paris 1896, 8 matchs, 8 victoires, (6 buts personnels pour Garnier), a joué le Tournoi de l’Exposition Universelle, validé également comme tournoi olympique en 1900. J’ai déjà expliqué par ailleurs, dans Sélectionneurs des Bleus (2020), que si ce tournoi ouvert à tous mais limité à deux matchs n’avait sportivement que peu de valeur, il en avait par contre symboliquement beaucoup, étant le premier à opposer des sélections nationales, validées comme telles par leurs fédérations respectives, en dehors des îles britanniques où existait le British Home Championship, tournoi fermé.

Des tournois olympiques ignorés par les annuaires de l’USFSA

J’ai aussi expliqué que si l’équipe de France officiellement validée par l’USFSA n’était composée que de joueurs du Club Français, ce n’en était pas moins l’équipe de France. Si ces deux matchs, auxquels Garnier a participé (Angleterre 0-4 et Belgique 6-2) ne sont pas comptabilisés actuellement dans les statistiques de la FFF, c’est parce que les annuaires de l’USFSA zappaient curieusement les tournois olympiques de football, pas seulement celui de 1900, mais aussi celui de 1908, et que ceux de la FFF, établis à partir de 1920, trouvaient leur aliment dans ceux de la défunte USFSA et n’ont pas cherché au-delà.

Ce n’est pas tout : on sait que l’USFSA, peu désireuse de financer des matchs, avait laissé une structure parallèle et sponsorisée par des journaux de sport (L’Auto et le Vélo), la SEFA (Société d’Encouragement au Football-Association) monter de toutes pièces une équipe nationale et lui trouver des adversaires (dont il avait évidemment fallu payer le déplacement) en 1903 et 1904, à savoir les Corinthians par deux fois, ainsi que l’équipe, professionnelle cette fois-ci, de Southampton.

Ces matchs constituèrent une rampe de lancement pour le projet caressé par Clément Robert-Guérin de mettre sur pied un championnat européen, chapeauté par un organisme qu’il rêvait de créer, la FIFA, et dont le France-Belgique de Bruxelles de 1904 était un jalon supplémentaire. Georges Garnier a joué ces trois matchs (0-11, 4-11 et 1-6, l’ampleur des défaites ne ruinant pas du tout l’enthousiasme, parce que les Français avaient alors la modestie de se considérer comme des élèves de leurs maîtres britanniques), et il a même marqué un but aux Corinthians.

La Fédération anglaise ne voulait pas de la FIFA

Il a aussi participé à l’embryon de match de sélection France-Angleterre du 7 mars 1905 (1-5) : l’USFSA (et surtout Robert-Guérin) le voulait, pour franchir un palier supplémentaire, sachant que la FA (la Fédération anglaise) se faisait tirer l’oreille pour intégrer la FIFA et refusait d’envoyer en Europe une sélection officielle. Ce fut donc une sélection de la London League qui se déplaça ; partie remise, puisque la FA finit par céder en 1906.

Mais Garnier avait alors raccroché les crampons, comme on dit. Au final, par conséquent, si Garnier ne compte que 3 sélections officielles, en 1904 et 1905, il faut y ajouter, pour mesurer l’ampleur réelle de sa carrière, 6 autres matchs, joués sous le maillot national : deux en 1900, un en 1903, deux en 1904 et un en 1905.

Ceci établi, intéressons-nous maintenant au joueur. Garnier était un attaquant : il est décrit en 1905 comme « le type du centre-forward, grand, ayant du poids, distribuant bien le jeu et sachant shooter. » Ce n’est pas, comme André François, qui lui succèdera au poste en sélection, un joueur de combinaison, c’est plutôt un puncheur… à la Mbappé ! Qu’on en juge d’après ces lignes, écrites en janvier 1903, lors d’un succès du Club Français à Lille (7 -0), où Garnier score par trois fois : « Tout à coup, Garnier s’empare de la balle, dribble, et après une course sur toute la longueur du champ, marque encore un but d’un shoot irrésistible. »

En 1900, il est rare de marquer sur des frappes lointaines

Et ce n’est pas le seul but de ce type qu’il inscrit : il récidive par exemple contre le Croydon FC le 31 décembre 1900 : « Garnier part à toute vitesse et, à 30 mètres des buts, shoote. » Un tir de 30 mètres, et même si la distance est sans doute exagérée par le commentateur dans son enthousiasme, ce n’est pas commun en 1900 où le fin du fin est d’amener le ballon en passes courtes aux 6 mètres, afin de tirer à bout portant.

Mais, on l’a constaté, en équipe de France Garnier ne marque guère : pas de but lors de ses trois parties officielles (mais une passe décisive, de la tête, pour le 3-3 de 1904, et pour Cyprès), un seul lors des matchs officieux. C’est surtout un animateur, qui « par gestes, dirige ses coéquipiers » contre la Suisse en 1905, qui aime jouer près d’un vrai buteur exclusif, comme Peltier au Club Français et lors du tournoi olympique de 1900, ou Cyprès, et qui donne de la vitesse au jeu.

Un jeu absolument contraire à celui démontré par les Corinthians, et basé sur des courses derrière le ballon, fidèle à celui pratiqué sur les pelouses du Bois de Boulogne en 1893 avec ses camarades de Chaptal. Un jeu de cour (ou de pelouse) de récréation, car il n’existe évidemment aucun centre de formation pour les footballeurs à l’époque : ils se forment sur le tas, exclusivement en jouant et en improvisant, joyeusement, sans pression, et il n’en va toujours pas autrement en 1904 ! Le plaisir pur, qu’importe le score…

Heureux temps ?

Quand Garnier dispute son dernier match international en mai 1905, contre la Belgique pour le match retour de la Coupe Evence Coppée (0-7), plus aucun de ses coéquipiers du Club Français de 1894 ne joue, et de ceux de 1900, seuls subsistent Allemane et Canelle, qui ont quatre ans de moins que lui. C’est la fin d’un cycle dont il est le vétéran, car à cette époque la pratique du football concerne la jeunesse et s’arrête souvent avec le mariage ; en 1905, justement, le journaliste Ernest Weber a créé la catégorie des « Vieux débris », réservée aux plus de 25 ans !

L’escapade bordelaise du représentant en tissus

Modeste employé de bureau (et fils de boulanger) avant le service militaire, Garnier est ensuite devenu représentant en tissus, et il a même failli s’installer à Bordeaux en 1902, jouant quelques parties pour le SBUC : « Le sympathique joueur du Club Français est parti hier soir par le rapide de 19h13 pour Bordeaux, sa nouvelle résidence », apprend-on le 8 janvier , « il compte s’implanter définitivement dans la capitale du Sud-Ouest », ce qui l’aurait empêché de jouer pour l’équipe de France !

Le 4 février, « Peltier et Garnier ont dû quitter les terrains, leurs occupations les empêchant de continuer à défendre les couleurs rose et noir ». C’est que la distance kilométrique est un obstacle dirimant à l’époque, non pour la pratique du football, les clubs étant de plus en plus nombreux en province depuis 1894, mais pour l’équipe de France.

En effet, les seuls provinciaux, en 1904 et 1905, sont l’Anglo-Havrais Wilkes, et encore, il a toutes les difficultés à se rendre disponible pour l’équipe de France, car les trains sont lents, et le nordiste Filez, la liaison Paris-Lille étant aisée ; mais Bordeaux est à une journée de rail, de même que Marseille, par exemple, ce qui interdit de facto la sélection de la grande majorité des provinciaux, jusqu’au début des années 1920. L’équipe de France n’est en réalité qu’une équipe de Paris et du Nord, ou plus exactement de la jeunesse parisienne et nordiste !

Garnier « décroche » donc fin 1905, on peut trouver sur Iui un article qui en informe le public (le 12 décembre), même si on le reverra sur les terrains sporadiquement en 1906 et même une dernière fois en décembre 1907 ! Il est décédé le 2 février 1936, il était alors comptable, car, parfaitement amateur, il n’avait jamais tiré un sou de la pratique du football.

Les 3 matchs de Georges Garnier avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/05/1904 Bruxelles Belgique 3-3 90 premier match des Bleus
2 Amical 12/02/1905 Paris Suisse 1-0 90 première victoire
3 Amical 07/05/1905 Bruxelles Belgique 0-7 90 première défaite

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