Les premiers Bleus : Henri Vascout et le coup du parapluie

Publié le 8 mars 2024 - Pierre Cazal

Avec un patronyme écrit de trois manières différentes et deux prénoms dont l’un ne figure pas dans son état-civil, Henri Vascout est un exemple de casse-tête généalogique. Et mieux valait pour le corps arbitral ne pas contrarier sa mère...

6 minutes de lecture

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Vascout, Vaskou ou même Waskou ? Henri, ou Benoni ? Comme pour beaucoup de premiers Bleus, l’état-civil du joueur (7 sélections en 1910 et 1911), est problématique, voire énigmatique.

Mais commençons par sa carrière sportive, tout en notant que, dans les journaux, c’est la graphie Vaskou qui prédomine jusqu’en 1911, pour laisser ensuite place à Vascout, non sans une certaine confusion : par exemple, le 10 mars 1911, le joueur est appelé Vascout, mais Vaskou le 15 ; idem le 4 avril (Vascout) et le 10 (Vaskou). Mieux, dans la liste des sélectionnés pour France-Angleterre 1910, figure la graphie Vaskou, et il en va de même à l’occasion du match dit de sélection, opposant deux équipes, A et B, en décembre 1910, on y lit : H Vaskou. Ces incohérences ne semblent gêner personne !

Né en 1886, Vascout ne fait apparition dans les compte-rendus des journaux qu’en 1910 ; on relève : « Vaskou s’est imposé cette année comme un international ». Mais pas seulement : au CA Vitry, son club depuis toujours semble-t-il, il n’est pas titulaire en 1909. Vitry était jusqu’en 1908 un club de second rang de l’USFSA, que le changement de fédération (il passe en janvier 1909 à la FCAF, peut-être pour marquer son désaccord avec la décision de l’USFSA de quitter la FIFA) propulse au premier plan. En effet, le championnat de la FCAF est d’un niveau bien plus modeste, et d’un seul coup d’un seul le CA Vitry décroche le titre de champion 1910, en battant le Racing de Saint-Quentin, non sans avoir battu en demi-finale la VGA du Médoc, et Vaskou occupe le poste de demi-centre.

Henri Vascout le 21 mai 1910 sous le maillot du CA Vitry (au milieu du deuxième rang) (photo agence Rol, BNF Gallica)

Un gaucher cantonné aux tâches défensives en sélection

Ces performances attirent l’œil du nouveau Comité de Sélection du CFI, présidé par René Chevallier, et voilà Vaskou en équipe de France, sauf que c’est au poste de demi-aile gauche (car c’est un gaucher) et non de demi-centre. Il existe une grande différence entre les deux postes : le demi-aile est un arrière latéral, commis à la surveillance de l’ailier, le demi-centre est le distributeur du jeu. Mais Vascout se plie à ce changement de fonction, et, sur ses 7 sélections (voir la liste en bas de l’article), il fera équipe avec Jean Rigal à droite, et Jean Ducret au centre. Après 1911, il perdra sa place au bénéfice de Maurice Bigué.

Quel joueur était Vascout ? L’article nécrologique qui lui est consacré en 1936 dit ceci : « appartenait à cette génération de footballeurs robustes, âpres à la lutte, d’une résistance à toute épreuve, et qu’on ne trouvait jamais à court de forme ». Vascout était un joueur de combat, pas très athlétique (1,64 m), mais agressif et en même temps très capable de passer avec précision (sinon il n’aurait pas été demi-centre), et à l’occasion, de tirer au but de 25 mètres. Pendant la Guerre, caserné en Bretagne, il joua pour le Stade Rennais de 1916 à 1919 ; voici un florilège de compliments qu’on peut relever sur Ouest-Eclair : « le merveilleux Vascout souleva les applaudissements du public » (1916) ; « phénoménal » (1917) ou encore « le meilleur fut encore et toujours Vascout » (1918).

Il permit au club breton de gagner la Coupe des Alliés 1917 (ancêtre de la Coupe de France), en battant le CS des Terreaux (Lyon), par 7 à 1, et même de jouer une demi-finale de Coupe de France en février 1919 (battu par le CASG), et ceci avant de retrouver son club de Vitry, la paix revenue. On peut ajouter que Vascout avait la tête près du bonnet : en 1913, il « bouscula » un arbitre (que sa mère frappa à coups de parapluie !) et fut suspendu « à vie » (28 novembre)… ce qui ne l’empêcha pas de rejouer plus tard, la Guerre ayant amnistié ce genre d’algarade…

Une sélection virtuelle contre la Suisse en novembre 1917

Voulez-vous un scoop ? Le CFI avait essayé de mettre sur pied des matchs internationaux en 1917, notamment une tournée en Amérique du Sud qui aurait fait date, et ne se concrétisa pas. Mais il avait réussi à conclure un match contre la Suisse à Genève, pour le 27 novembre, et sélectionné une équipe, dont voici la formation : Chayriguès, Huot, Mahieu, Jourda, Lhermitte, Vascout, Devaquez, Poullain, Nicolas, Darques, Delalande. Les Suisses se défilèrent, pour ne pas irriter les Allemands, en remettant le match « dès que les circonstances le permettraient »… c’est-à-dire pas avant 1920 ! Mais on observera que Vascout avait été retenu en dépit de la fameuse suspension à vie ! En 1920, Vascout, malgré ses 34 ans, tenait toujours son poste au CA Vitry, et il le fit jusqu’en 1922. Maçon de son état, il est mort prématurément le 6 mai 1936.

Venons-en à son état-civil mystérieux. L’acte de naissance précise que Benoni Waskou est né le 17 février 1886 à Paris, de père inconnu, et d’une mère dénommée Marie-Marguerite Waskou, couturière. La fiche militaire reprend ces données, mais ajoute, en mention marginale : le 12 mars 1907, Marie-Louise Vascout a reconnu l’enfant. Et effectivement, on trouve trace de cette reonnaissance à l’état-civil, en 1907 : « déclaration faite par Marie-Louise Vascout, marchande de Vitry, 33 rue Audigeois (l’adresse du footballeur) ». Il n’échappe pas au lecteur que Marie-Marguerite Waskou et Marie-Louise Vascout ne sont pas la même personne, et que, par conséquent le joueur a deux mères…et zéro père ! Et le comble, quand on examine l’acte de reconnaissance, c’est que Marie-Louise Vascout signe… Vaskou !

Henri Vascout le 24 novembre 1912 sous le maillot du CA Vitry (debout, le quatrième en partant de la gauche) (photo agence Rol, BNF Gallica)

A l’origine, une ville à trois noms, comme le joueur

Il faut faire un détour par les sites généalogiques pour démêler cet écheveau pas banal. On a la chance de pouvoir y dénicher un arbre généalogique fourni, où se mêlent les graphies Waskou, Vaskou et Vascout, acceptées par l’état-civil peu rigoureux, car il s’agit bel et bien de la même famille. Elle est originaire de Pologne, d’où est venu à la fin du 18e siècle un ancêtre, de Lwow plus précisément. Cette ville, dénommée Lviv aujourd’hui, et ukrainienne, s’est appelée successivement Lemberg quand elle dépendait de l’empire austro-hongrois, Lwow quand elle fut polonaise, et donc Lviv actuellement : on comprend donc que, quand on vient de Lemberg/Lwow/Lviv, on peut s’appeler Waskou/Vaskou/Vascout…

On sait que le duché de Lorraine fut offert, à titre de compensation, à Stanislas Leszczynki au 18e siècle (d’où la célèbre place Stanislas à Nancy), et qu’il vint accompagné de nombreux compatriotes : rien n’interdit donc de penser que Mathias Waskou l’ancêtre, vint en France dans les bagages de Stanislas Leszczynski ; rien ne le prouve non plus, mais le fait est là : Mathias Waskou fit souche en Haute-Saône. Deux générations plus tard, Marie-Louise Vaskou vit le jour en 1855, suivie en 1856 par Marie-Marguerite Waskou, dont le lecteur a compris qu’elles étaient donc sœurs, en dépit des différences de graphie de leurs noms.

Vascout est une francisation de Vaskou

J’ai bien dit Marie-Louise Vaskou : elle signe donc bien de son nom réel, et pourtant l’état-civil l’enregistre sous la graphie Vascout, sans explication. Sur la totalité de l’arbre généalogique, cette graphie Vascout est ultra-minoritaire et ne concerne que la descendance de Marie-Louise. Elle est une évidente francisation d’un patronyme étranger, décidée par qui, on l’ignore, mais acceptée sans broncher par l’état-civil. Arrangeait-elle le joueur ? En tous cas, il faut croire qu’il a dû insister pour que les journaux veuillent bien cesser de l’appeler Vaskou, car il n’y est parvenu que tardivement, à partir de 1911, comme on l’a vu plus haut.

Et la preuve qu’il y tenait, c’est qu’il a aussi changé son prénom. Car il est né prénommé Benoni, et rien d’autre. Henri ne figure sur aucun document d’état-civil, c’est donc un choix personnel, de sa mère ou de lui. Le lecteur attend certainement une explication au fait que Vascout ait été déclaré par une des soeurs Waskou, puis recoonu 23 ans plus tard par l’autre. On n’en a pas, mais ce qu’on sait, c’est au Marie-Marguerite, quoique mariée, n’a pas eu d’enfant, alors que Marie-Louise, elle, en a eu quatre…tous hors mariage ; Benoni est le quatrième. Hypothèse : Marie-Louise a confié son dernier enfant à sa sœur, en mal d’enfant, qui l’a élevé. En 1907, Benoni est majeur (21 ans à l’époque), il vient de se marier, et Marie-Louise remet les choses en place.

Waskou, le patronyme introuvable, même en Pologne

Un dernier détail : Benoni est un prénom très rare, et juif. Dans la Bible, c’est Rachel qui le donne à son fils avant de mourir des suites de l’accouchement, il veut dire : enfant de la douleur. Les Polonais sont catholiques, et tous les autres Waskou ou Vaskou figurant sur l’arbre généalogique portent des prénoms chrétiens, y compris les (demi) frères et sœurs de Benoni. On en déduit que le père, celui qui n’a jamais reconnu l’enfant, devait être juif. Mais ce prénom de Benoni a gêné le joueur, qui en a préféré un autre, de sorte que, né Benoni Waskou, il est passé à la postérité en tant qu’Henri Vascout !

Et qu’en est-il du patronyme Waskou ? Il n’existe aucun patronyme polonais semblable. Par conséquent, il paraît évident qu’il s’agit d’une abréviation d’un nom plus complexe. Rien de rare : le célèbre Raymond Kopa s’appelait bien, selon l’état-civil, Kopaszewski…un patronyme qui n’existe en Pologne que sous la graphie Kopaczewski (si vous n’y voyez pas de différence, sachez qu’en polonais sz se prononce ch et cz, tch…) ; ou encore l’international Wagi s’appelait Wawrziniak ! Waskou peut donc être l’abréviation usuelle de Waskowski (le o se prononçant ou), voire de Waskowicz…on ne le saura jamais avec certitude.

Les sept matchs de Henri Bellocq avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 16/04/1910 Brighton Angleterre 1-10 90
2 Amical 15/05/1910 Milan Italie 2-6 90
3 Amical 23/03/1911 Saint-Ouen Angleterre  0-3 90
4 Amical 09/04/1911 Saint-Ouen Italie 2-2 90
5 Amical 23/04/1911 Genève Suisse 2-5 90
6 Amical 30/04/1911 Bruxelles Belgique 1-7 90
7 Amical 29/10/1911 Luxembourg Luxembourg 4-1 90
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