Southampton et les deux équipes de France, en mars 1904

Publié le 2 septembre 2022 - Pierre Cazal - 1

Moins de cinquante jours avant le tout premier match officiel de l’équipe de France, deux rencontres sont organisées mi-mars 1904 au Parc des Princes contre les Anglais de Southampton. La première sélection française est amateure, la deuxième professionnelle.

7 minutes de lecture

Le 13 mars 1904, une équipe de France officieuse reconnue par l’USFSA affronte au Parc des Princes le club anglais du Southampton FC, et perd sur le score de 1-6 ; le lendemain, 14 mars, la même équipe de Southampton joue contre une autre équipe de France, mais de la FSAPF, cette fois-ci, et l’emporte par 11-0 !

L’équipe présentée par l’USFSA est amateure, celle de la FSAPF est dite professionnelle, on ne mélange pas les deux catégories à l’époque, le paradoxe étant cependant que l’adversaire, l’équipe de Southampton, est professionnel, et n’a aucune objection à affronter deux jours de suite (!) deux équipes labellisées « équipe de France » différentes !

En 1904, Clément Robert-Guérin, qui préside la Commission d’association de l’USFSA (fédération omnisports, on le rappelle, qui géra le football seule au plan international de 1894 à 1908, puis au sein du CFI de 1913 à 1919) cherche à monter la FIFA et à relancer une équipe de France, qui n’avait existé de façon éphémère que le temps du tournoi de l’Exposition Universelle de 1900, validé comme tournoi olympique également.

Objectif : préparer le Belgique-France inaugural du 1er mai 1904

En guise de préparation au match inaugural officiel de mai, le fameux Belgique-France joué à Bruxelles, sont organisés deux matches, opposant une équipe de France à deux adversaires anglais (l’Angleterre faisant figure de référence pour avoir créé le football en 1863 et les matches internationaux , ou plutôt interbritanniques, dès 1872), à savoir le Southampton FC, finaliste de la prestigieuse Cup en 1902, puis les Corinthians, une sélection itinérante des meilleurs amateurs, véritable équipe nationale d’Angleterre amateur avant l’heure. Deux très belles affiches !

L’USFSA, dans ses règlements, considérait comme des professionnels non seulement ceux qui touchaient des primes ou des prix, mais également les moniteurs de sport, et les excluait ; ils s’affiliaient donc à une autre fédération, la FSAPF (Fédération des Sports Athlétiques Professionnels de France), omnisports comme l’USFSA, à laquelle elle était liée par un traité d’entente, de façon que chacun respecte les plates-bandes de l’autre. La FSAPF, dont la cheville ouvrière était Géo Caizac, rédacteur du journal Le Vélo, organisait son propre championnat depuis 1897. En 1904, c’était l’Union Athlétique des Batignolles qui remportait, pour la 3ème fois consécutive, le titre.

N’allez pas imaginer le professionnalisme de l’époque comme comparable à celui d’aujourd’hui, et même celui instauré en 1932 : pas de contrat ni de salaire, mais des prix (dotés par des sponsors), bien modestes (100 francs –de l’époque, évidemment- pour le champion, mais à se partager entre les joueurs !). Les amateurs de l’USFSA, eux, ne touchaient pas un centime, payaient leur cotisation, leur équipement…

Deux matches exhibition joués au petit trot

Géo Caizac eut l’idée de coupler les deux matches contre Southampton… qui était payé, et ne fit pas de difficulté à jouer deux matches en deux jours. Mais le rythme des matches de 1904, surtout amicaux, n’avait rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Même en jouant au petit trot, les Anglais étaient assurés de gagner sans avoir à forcer : ces parties tenaient pour eux de l’exhibition. Southampton (le club existe toujours) jouait en Southern League, concurrente de la FA League.

Cette dernière avait été créée en 1888 sous l’impulsion de clubs des Midlands (région industrielle et ouvrière), contre l’avis des clubs londoniens, issus des Public Schools huppées. Dans un second temps, la formule du championnat remportant un grand succès, certains clubs de Londres décidèrent de créer leur propre compétition, ouverte aux professionnels. Les clubs de la FA League et ceux de la Southern League ne se rencontraient pas, donc, difficile de situer le niveau de Southampton. Mais ce qui est certain, c’est que les professionnels anglais étaient entraînés, ce qui n’était pas le cas des amateurs français, ni celui des « professionnels » français, qui ne méritaient pas vraiment ce qualificatif, et aguerris aux compétitions.

  • La Vie au grand air, 17 mars 1904 (BNF Gallica)

Voici les équipes qui jouèrent le 13 mars 1904 :

France (USFSA, amateur) : Guichard - Canelle, Verlet – Davy (Fontaine 46) Allemane, Wilkes – Mesnier, Royet, Garnier, Cyprès, Dubreuil.
Southampton : Clawley - Robertson, Molyneux – Lee, Bowman, Spence – Turner, Hedley, Harrison, Frazer, Mouncher.

La formation française (composée par la Commission d’Association de l’USFSA) comprenait huit des joueurs de Bruxelles pour le futur 3-3 inaugural, et on peut même dire qu’elle était supérieure, Wilkes et Allemane étant prévus pour Bruxelles et ayant dû renoncer au voyage. (le troisième non retenu étant Dubreuil). Deux Roubaisiens, François et Sartorius, étaient même prévus, mais « retenus par leur championnat », ils ne vinrent pas : l’équipe de France ne rassemblait pas encore.

Et le 14 mars :

France (FSAPF, professionnelle, composée par Caizac) : Perrin – Legeard, Lapierre – Collins, Schibinet, Etienne – La Macta, Boulanger, MacCabe, Kraemer, Yorick.
Southampton : Clawley – Robertson, Molyneux – Lee, Bowman, Spence- Turner, Hedley, Harrison, Wood, Mouncher.

Les onze pros de la FSAPF, d’illustres inconnus, sauf un Anglais !

Dans son enthousiasme, Caizac n’avait pas hésité à affirmer : « L’équipe professionnelle ne sera pas inférieure en valeur à l’équipe amateur » Hum ! Le commentaire du match, qu’on peut lire dans Le Vélo le lendemain, est assez cruel pour les « pros » de la FSAPF, qui ne parvinrent quasiment jamais à développer du jeu dans le camp anglais, et furent constamment acculés dans le leur, en raison de leur infériorité technique. C’était l’époque où, dans le football français, contrôler la balle et réussir une passe précise tenaient encore de l’exploit…

Les onze titulaires de la FSAPF sont d’illustres inconnus, à une exception près : parmi eux, plusieurs anglais, V.R. Collins et M. Yorick (peut-être un pseudonyme, car ce nom rappelle un peu trop Hamlet et la tirade : To be or not to be, adressée à un crâne qu’Hamlet identifie comme celui du « poor Yorick »), et Peter MacCabe, le seul dont le nom dit quelque chose. MacCabe était correspondant à Paris du Daily Mail, et joua un rôle d’intermédiaire en 1908 auprès de Charles Simon, lors de l’affiliation du CFI à la FIFA, après la démission stupide de l’USFSA.

  • La Vie au grand air, 17 mars 1904 (BNF Gallica)

Ducret et Lesmann, ces internationaux A qui ont été pros

Bien rares furent les joueurs dits professionnels à se tailler une place dans le football français, à l’exception de Jean-Baptiste Ducret, qui évolua aux Batignolles avant d’intégrer des clubs du CFI (bien moins regardant sur les antécédents des joueurs que l’USFSA) et fut 20 fois sélectionné en bleu, ainsi qu’Emile Lesmann, champion FSAPF avec son club de la Jeanne d’Arc de Saint-Ouen, passé avec armes et bagages au CFI ensuite, et sélectionné une fois. L’expérience de cette équipe de France professionnelle ne fut jamais renouvelée : ce fut donc une première… et une dernière !

Quant à l’équipe de Southampton, elle comportait, pour information, quatre internationaux anglais : Georges Molyneux (4 sélections en 1902 et 1903), Harry Wood (3 sélections entre 1890 et 1896), Arthur Turner (2 sélections en 1900 et 1901) et Ernest Albert Lee, qui a joué une fois en 1904 justement, contre Galles en février, pour le British Home Championship. S’y rajoutera Georges Hedley, sélectionné une fois en 1909.

Southampton a effectué ensuite une tournée en Amérique du Sud en 1904, ce qui permet des comparaisons : l’équipe y a gagné ses six matches, dont un contre la sélection d’Argentine (qui ne comprenait que des Anglais !) par 8-0 et un autre contre les Uruguayens, 5-3. Cela relativise l’ampleur des défaites françaises…

  • La Vie au grand air, 17 mars 1904 (BNF Gallica)

Le professionnalisme déjà bien installé en Angleterre

Ce couple de matches des 13 et 14 mars 1904 constitue une des curiosités méconnues du football français alors encore en pleine gestation. Le football professionnel ne s’est pas développé en France au même rythme qu’en Angleterre, où il avait déjà pris le pas sur le football amateur dès 1900, et la FA anglaise avait eu l’intelligence de ne pas l’ostraciser, contrairement à ce qui s’est produit en France, où l’USFSA a fait barrage. Pétrie de concepts élitistes, elle ne concevait le sport, et le football, que comme une activité de loisir, qu’il fallait protéger de tout commerce et de toute recherche de profit. Elle avait donc élevé des barrières séparant le sport amateur et le sport professionnel, qu’elle ne pouvait empêcher, mais qui devait se développer loin d’elle, comme le cyclisme ou la boxe, par exemple.

La FA anglaise, elle, acceptait de gouverner aussi bien le football amateur que le football professionnel, entre lesquels il existait des passerelles, et elle ouvrait son équipe nationale aussi bien à des joueurs amateurs qu’à des professionnels, ceux-ci, minoritaires au début, finissant par devenir majoritaires, au point qu’il fut décidé de créer une équipe nationale anglaise amateur (à partir de 1906, et la France eut le privilège d’inaugurer le palmarès).

Mais cette équipe amateur n’a jamais été tenue pour la « vraie » équipe d’Angleterre, qui était « open »… sauf en France, où l’on n’a pas voulu faire la différence, alors qu’on savait pertinemment qu’il existait une autre équipe d’Angleterre jouant non seulement le British Home Championship annuel, mais aussi quelques matches contre des sélections européennes (l’Autriche et la Hongrie, en 1908 et 1909). Une équipe composée de pros et d’amateurs, bien supérieure à celle qui jouait contre les Bleus !

Mais c’était un sujet tabou.

En France, le professionnalisme remplacé par l’amateurisme marron

En France, les professionnels ne pouvaient se mélanger avec les amateurs, ni jouer à leur côté, que ce soit en club ou en sélection. Résultat : le professionnalisme officiel, institué par la FSAPF, n’est pas parvenu à se développer. Il a végété, puis disparu, remplacé par… l’amateurisme « marron ». Les clubs amateurs de l’USFSA ou du CFI ont pris le dessus en rémunérant de façon occulte leurs meilleurs joueurs (avant 1914), puis progressivement tous les joueurs (dans les années 1920), tandis que la nouvelle fédération unisport, née de la fusion des fédérations omnisports qui constituaient le CFI, à savoir la FFFA (devenue FFF en 1942), fermait plus ou moins les yeux sur cette situation qui, au passage, a irrité les Anglais au point qu’ils finirent par se retirer de la FIFA (et ne la réintégrer qu’en 1946).

Il a fallu attendre 1932 pour qu’enfin soit instauré le professionnalisme en France (qui dérangeait alors beaucoup de clubs, que l’amateurisme marron arrangeait au contraire), et que l’équipe de France soit ouverte aux professionnalisme, et imite le modèle anglais de sélection « open », tout en créant à côté de cette sélection A ( qui a alors affronté des équipes d’Angleterre totalement officielles, et composées exclusivement de pros à partir de 1933) une sélection réservée aux amateurs, ce qui a fait l’objet d’un précédent article.

Il n’est bien entendu pas possible de considérer les joueurs de l’équipe qui a rencontré en 1904 le club de Southampton comme des Bleus, ni même comme des « quasi-Bleus », car la FSAPF n’était pas l’USFSA : mais il n’est pas interdit d’évoquer ce match, qui prend sa place dans l’Histoire du Football français, même minime….

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