12 février 1905 : le premier France-Suisse

Publié le 28 juin 2021 - Richard Coudrais

C’est dans l’ancien Parc des Princes à Paris, le 12 février 1905, que la France et la Suisse se sont rencontrées pour la première fois. Il s’agissait du deuxième match de la sélection française, son premier à domicile. Et le premier, officiellement, de la sélection helvétique.

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A l’issue de son premier match contre la Belgique en mai 1904, l’équipe de France a attendu neuf mois pour disputer une deuxième rencontre. Le très actif Robert-Guérin, à la fois manager de l’équipe de France, secrétaire de l’USFSA, président de la FIFA et journaliste au “Matin” s’est employé à mettre sur pied un match des Tricolores face à la Suisse.

Naissance de la Nati

La confédération helvétique est l’un des premiers pays du continent à avoir adopté le football. De nombreux jeunes britanniques venaient en effet poursuivre leurs études dans les établissements suisses et amenaient pour la plupart un ballon de football dans leurs bagages. C’est à Lausanne qu’est créé le premier club du continent européen, dès 1860. L’Association Suisse de Football (ASF) voit le jour en 1895 et un championnat national est créé dès 1898. Une sélection est montée dans la foulée, qui comprend de nombreux sujets britanniques. C’est toutefois lorsqu’elle est invitée à affronter la France le 12 février 1905 à Paris que la Nati, la sélection nationale suisse, voit officiellement le jour.

En France, la rencontre revêt une importance particulière : au-delà du trophée mis en jeu par la SEFA, société d’Encouragement au Football Association, il s’agit du premier match de l’équipe de France à domicile. C’est le Parc des Princes qui a été choisi pour abriter cette rencontre. Inauguré en 1897, le vélodrome construit près du Bois de Boulogne était destiné à accueillir des manifestations cyclistes, mais il s’est ouvert au football-association et au football-rugby. D’ailleurs, ce 12 février 1905, les deux disciplines vont cohabiter. Une rencontre du championnat de France de rugby opposant le Racing au SCUF a lieu à partir de 14 heures, précédant le France-Suisse de football annoncé pour 15h30.

Les joueurs suisses sont arrivés en deux groupes séparés. Ceux provenant de la Suisse Romande débarquent dès le samedi matin par les voies du PLM, ceux de Suisse Centrale et orientale arrivent le lendemain, au matin du match, via la Compagnie des chemins de fer de l’Est. Côté français, les treize joueurs convoqués se donnent rendez-vous le dimanche matin à 10 heures au siège de l’USFSA près du jardin des Tuileries, à sept kilomètres donc du Parc des Princes.

Du rouge et du blanc

Huit des onze joueurs de Bruxelles sont de nouveau convoqués : Le gardien Guichard, les défenseurs Canelle et Verlet et les attaquants Mesnier, Royet, Garnier, Cyprès et Filez. Les trois demis ont été remplacés : le Racingman Pierre Allemane et le Havrais Charles Wilkes, qui avaient décliné le premier déplacement, sont bien présents, tout comme Eugène Nicolai, qui provient du United Sports Club, un club de l’ouest parisien. Wilkes, qui joue au Havre, est le deuxième provincial de l’équipe avec le Tourquennois Adrien Filez. Si les autres joueurs proviennent de clubs parisiens, certains tels Mesnier, Cannelle ou Verlet sont plus souvent en province car ils y effectuent leur service militaire et on donc rejoint Paris en train.

Toutes les rencontres de football-association qui devaient avoir lieu ce 12 février 1905 en région parisienne ont été annulées ou reportées, de façon à ce que les footballeurs parisiens puissent se rendre au Parc des Princes et voir évoluer les meilleurs d’entre eux. Ainsi 5.000 spectateurs sont présents dans les tribunes en dépit du prix des places relativement élevé : 3 francs pour les places assises et 1 franc pour les populaires.

Le match de rugby se termine par la victoire (15-3) du Racing sur le Sporting. Le match de football peut commencer à l’heure, après que les poteaux de rugby aient été remplacés par des cages de football. Sur le terrain, les joueurs devront suivre les lignes blanches qui se superposent aux lignes rouges, lesquelles avaient été tracées pour le rugby. Les Français jouent avec leur maillot blanc orné des anneaux de l’USFSA tandis que les Suisses sont en rouge, avec une grosse croix fédérale blanche sur le cœur.

L’arbitre annoncé est un anglais, John Lewis. Mais est-ce vraiment lui qui a arbitré ? L’article de L’Auto, le lendemain, précise que “Bedfort, en l’absence de l’arbitre anglais de Londres, prend le sifflet”. Le referee britannique serait-il en retard comme il le sera lors d’une future rencontre des Français ? Le dénommé Bedfort a-t-il assuré l’arbitrage durant toute la rencontre ? L’histoire conserve encore bien des mystères.

Extrait de « L'Auto » du lundi 13 février 1905
Extrait de « L’Auto » du lundi 13 février 1905

On assiste d’entrée à une opposition de style. Face au jeu posé des Suisses, les Français jouent avec ardeur sous les injonctions de leur capitaine Georges Garnier. Le vent poussant le ballon sur la gauche, les Français s’efforcent de jouer vers la droite où ils trouvent Louis Mesnier. Mais l’attaquant du CA Paris se retrouve souvent en position de hors-jeu.

Cyprès et Guichard en héros

Les Suisses démontrent une plus grande maîtrise collective et se procurent des occasions. Maurice Guichard, le gardien français, est mis à contribution face aux attaquants suisses dont il repousse les tentatives. Les Français parviennent aussi à se créer des occasions. Un centre de Wilkes est repris de la tête par Cyprès mais le ballon passe au-dessus de la cage d’Alfred Uster, le gardien suisse. En réaction, un tir de l’attaquant Hans Kämpfer oblige Guichard à un plongeon spectaculaire pour repousser le ballon du bout des doigts. Le jeu s’équilibre, les attaques fusent de part et d’autre mais le score reste vierge à la mi-temps.

En deuxième période, la sélection helvétique domine toujours, mais ce sont les Français qui vont ouvrir le score par Gaston Cyprès à l’heure de jeu. Le journal L’Auto du lendemain décrira ainsi son but : « Cyprès reçoit de Royer la balle que venait de passer Allemane ; Cyprès va droit vers le but suisse ; il feint un shoot, puis se ravise, et au moment où il va passer à Garnier, il s’aperçoit que le coin droit du but est libre. Il en profite pour marquer un point. »

Gaston Cyprès
Gaston Cyprès

Cinq minutes plus tard, Cyprès parvient à nouveau à battre le gardien suisse, mais l’arbitre n’accorde pas le but, estimant que le joueur du Paris FC était hors-jeu. La Suisse tente de refaire son retard et se déploie pour éviter que l’histoire de sa sélection commence par une défaite. Mais Maurice Guichard, le gardien au maillot noir, réalise une prestation en tout point exceptionnelle.

La première victoire de l’équipe de France

La France s’impose finalement 1-0. C’est la première victoire de son histoire. « Le football-association, sport méconnu par le grand public, vient de s’affirmer une fois de plus » écrit dès le lendemain l’ancien joueur du Stade Français Ernest Weber, devenu chroniqueur à L’Auto. Son compte-rendu s’étend sur une colonne et demie en page 3 du quotidien. Il n’y a aucune photo, sinon une caricature du capitaine suisse Eduard Garonne. “Ce résultat ne gâte pas le succès de la journée au contraire, peut-on lire par ailleurs. Il nous prouve que nous possédons en France d’excellents joueurs, et nous permet d’espérer une partie du plus haut intérêt entre les équipes de France et d’Angleterre, le 19 mars prochain. [1].

L’équipe de France sera réunie en mai pour une nouvelle expédition à Bruxelles qui se transformera en déroute, la Belgique l’emportant 7-0. En 1906, les mêmes Belges récidivent à Saint-Cloud en l’emportant 5-0. Une score bien doux à côté du 15-0 qu’infligeront les Anglais en novembre au Parc des Princes. Lorsqu’elle rencontrera de nouveau la Suisse, l’équipe de France se montrera souvent sous un meilleur jour. En six confrontations jusqu’à la Grande Guerre, la France l’emportera quatre fois pour un nul et une défaite. Un bilan qui est loin d’être neutre.

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Paris, Parc des Princes, le dimanche 12 février 1905
France bat Suisse 1-0
But de Gaston Cyprès (60’)
FRANCE : Guichard - Canelle, Verlet - Wilkes, Allemane, Nicolai - Mesnier, Royet, Garnier, Cyprès, Filez.
SUISSE : Uster - Bollinger, Mory - Megroz, Forestier, Studer - Dütschler, Billeter, Garonne, Kämpfer, Kratz.
Arbitre : M.Bedfort (remplaçant John Lewis)
5.000 spectateurs
JoueurÂgePosteSel.Club
Maurice Guichard 21 ans Gardien 2/2 US Parisienne
Fernand Canelle 23 ans Défenseur 2/6 Club Français
Joseph Verlet 22 ans Défenseur 2/7 Paris FC
Charles Wilkes 26 ans Demi 1/4 Le Havre
Pierre Allemane 23 ans Demi 1/7 RC France
Eugène Nicolai 20 ans Demi 1/2 United Sports Club
Louis Mesnier 21 ans Attaquant 2/14 CA Paris
Marius Royet 25 ans Attaquant 2/9 US Parisienne
Georges Garnier (c) 27 ans Attaquant 2/3 Club Français
Gaston Cyprès 21 ans Attaquant 2/6 Paris FC
Adrien Filez 20 ans Attaquant 2/5 US Tourcoing

pour finir...

Sources : Les ouvrages « L’intégrale de l’équipe de France de football » (First édition) de Pierre Cazal, Jean-Michel Cazal et Michel Oreggia ; « La fabuleuse histoire du football » (Nathan) de Jacques Thibert et Jean-Phlippe Rethacker ; « Un maillot, une légende » (Solar) de Bruno Colombari et Matthieu Delahais. Les sites FFF, Wikipédia et Gallica.
Merci à Pierre Cazal et à @jeromep1970 de Twitter pour leurs précisions.

[1Ce match contre l’Angleterre aura finalement lieu le 7 mars au Parc des Princes, les Tricolores étant en fait opposés à une sélection londonienne (qui l’emportera 5-1)

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