Aux origines du coq sur le maillot des Bleus

Publié le 12 mai 2023 - Matthieu Delahais

La France joue pour la première fois avec un coq sur la poitrine le 31 août 1920, lors de la demi-finale des JO d’Anvers face à la Tchécoslovaquie. Jean Rigal, international entre 1909 et 1912, semble toutefois contredire ce fait, alors que les les rugbymen portent le coq dès 1913. Tentons de démêler le vrai du faux.

Lire l’article Quand le coq est-il apparu sur le maillot de l’équipe de France ?
4 minutes de lecture

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de replacer les choses dans leur contexte historique. La FIFA est créée en 1904 par sept pays, dont la France représentée par l’USFSA (Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques). En 1908, l’Union quitte la FIFA et fonde l’UIAFA (Union Internationale Amateur de Football Association) avec quelques fédérations dissidentes. Le CFI (Comité Français Interfédéral) devient le nouveau représentant de la France à la FIFA. La réconciliation entre les différentes fédérations françaises n’a lieu qu’en 1913. Sur la période 1909-1912, deux équipes de France coexistent. L’une est reconnue par la FIFA, l’autre dépend de l’UIAFA.

Un coq pour le CFI ?

A partir de 1909, le CFI représente l’équipe de France. Les joueurs portent un maillot blanc à fines rayures bleues et large col rouge, un short blanc et des chaussettes noires [1]. Cette tenue ne porte aucun emblème, à l’inverse de celle de l’Union qui utilise deux anneaux bleu et rouge enlacés. Un témoignage de Jean Rigal (11 sélections et un but entre 1909 et 1912) contredit pourtant ce fait.

En décembre 1937, à quelques jours d’un match contre l’Italie, l’ancien joueur raconte la première rencontre jouée entre les deux nations (le 15 mai 1910). Etant présent lors de cette opposition, il sait de quoi il parle. Il explique notamment qu’il portait sur son « maillot, le coq gaulois, faveur réservée à ceux qui avaient été trois fois sélectionnés [2]. » Cette affirmation est toutefois en contradiction avec les photos d’époque sur lesquelles aucun joueur ne porte de coq.

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L’explication se trouve dans les comptes-rendus des réunions du CFI. Lors de celle du 1er avril 1912, le Conseil décide d’offrir un insigne représentant le coq gaulois aux joueurs ayant joué au moins trois fois en sélection [3]. Les joueurs auront le droit de porter cet insigne lors des rencontres internationales et interclubs. Quelque mois plus tard, le CFI donne la liste des internationaux récompensés, mais modifie le règlement en précisant que seuls « équipiers ayant joué au moins trois matches internationaux du CFI […] ont le droit de porter pour les matches interclubs un insigne artistique en soie brodé représentant le coq gaulois [4]. »

La liste des nominés comprend 23 noms, auxquels s’ajoutent le docteur Charles Bilot (6 sélections, dont 4 avec le CFI) décédé le 17 septembre 1912 et dont l’insigne est remis à sa famille. Cette liste contient toutefois certaines anomalies si on les met en perspective avec les statistiques officielles telles qu’elles sont définies aujourd’hui. Jean Rigal est bien présent dans cette liste, mais n’a que neuf sélections, alors qu’il en devrait en compter 11 à cette date. A l’inverse, Gaston Barreau (7 sélections au lieu de 5), Alfred Gindrat (6 au lieu de 4) et Henri Vascout (8 au lieu de 7) se voit attribuer plus de matches joués qu’en réalité. Mais le cas le plus étrange est celui de Joseph Del Vecchio (une seule sélection officielle en 1913) qui est crédité de trois capes et donc de cet insigne alors qu’il semble qu’il n’avait jamais porté le maillot de l’équipe de France du CFI fin 1912.

Les internationaux portant le maillot de l’équipe de France depuis 1909, année d’adhésion du CFI à la FIFA, et qui ont joué trois matches ou plus sont donc honorés, mais ne peuvent porter cet insigne que dans les rencontres interclubs. Jean Rigal se rappelle donc bien avoir reçu un coq pour son parcours en sélection, mais il semble qu’il se trompe lorsqu’il dit qu’il le portait cousu sur son maillot avec l’équipe de France ainsi que dans les dates puisque la remise de cet insigne semble dater de 1912 (et non 1910, date du match dont parle Jean Rigal).

  • L’Auto du 1er décembre 1937

Cet insigne est bien porté lors de rencontres interclubs. Le 1er novembre 1912, la LFA rencontre Bruxelles et s’incline 2-0 [5]. Dans les jours précédents la rencontre, il est précisé que les six joueurs de l’équipe de France retenus pour cette opposition « pourront porter sur le maillot, sous l’écusson de la LFA, le coq gaulois, insigne réservé aux internationaux [6] »

Un coq à l’USFSA dès 1913 (ou 1911) ?

Début 1911, le capitaine de l’équipe de France de rugby suggère que les Français portent un coq en plus des anneaux de l’Union [7]. La demande est validée quelques jours plus tard par l’USFSA [8]. Les rugbymen doivent toutefois attendre 1912 pour jouer enfin avec cet emblème, le 1er janvier face à l’Irlande.

Par contre, lors de la présentation du match opposant l’équipe de France de football de l’USFSA (donc celle non reconnue par la FIFA) face à l’Angleterre du 23 mars 1911, il est précisé que les Français jouent avec une chemise bleue portant les anneaux de l’USFSA et le coq [9]. L’Auto confirme cette information le jour du match [10].

A la lecture de ces informations, il semble que l’équipe de France de football de l’USFSA, équipe non reconnue par la FIFA, soit la première à avoir porté un coq dans l’histoire du sport français. Cependant, la photo de l’équipe parue dans Tous les sports quelques jours après la rencontre contredit cette information. Sa qualité est médiocre et s’il on arrive à distinguer les anneaux de l’USFSA sur certains joueurs, le coq semble absent [11].

  • Tous les sports, 31 mars 1911 (BNF Gallica)

L’Union et son équipe de France disputent encore quatre matches jusque fin 1912 [12], mais il n’est plus jamais fait mention d’un coq sur son maillot. Il semble donc que cet emblème ait été réservé seulement aux rugbymen.

La photo de Dubly dans Match

Après la réconciliation de 1913, l’équipe de France est unifiée. Tous les footballeurs français deviennent éligibles pour défendre les couleurs nationales. L’USFSA va toutefois continuer à faire jouer sa sélection qui va disputer quatre matches jusqu’en 1914 contre des équipes hollandaises, belges et suisses. Comme le précise le règlement sur l’insignes, les internationaux ayant joué au moins trois fois en équipe de France portaient lors de ces rencontres un coq, placé sous les anneaux de l’USFSA.

Une photo de Raymond Dubly parue dans Match le met bien en évidence. Le joueur raconte dans l’article son histoire en équipe de France, dont sa première sélection en février 1913 face à la Belgique que la photo est censée illustrée. Le onze national joue toutefois pendant ces années avec la tenue rayée du CFI qui ne correspond pas à celle de la photo [13]. Cette dernière doit plutôt dater du match France (USFSA) Suisse Romande auquel Raymond Dubly a participé [14].

  • Match l’intran, 6 décembre 1932 (BNF Gallica)

[1CFI, « Réunion du conseil », L’Auto, 22 avril 1909

[2Jacques de Ryswick, « International en 1910, M. Jean Rigal nous parle du 1er match France-Italie », L’Auto, 1er décembre 1937

[3CFI, « Réunion du conseil », L’Auto, 1er avril 1912

[4CFI, « Réunion du conseil », L’Auto, 30 octobre 1912

[5Le CFI regroupait trois fédérations : la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France, la Ligue de Football Association et Fédération Cycliste et Athlétique de France. Ces fédérations constituaient toutefois des sélections de leurs meilleurs joueurs qu’elles opposaient à des équipes de villes étrangères.

[6Robert Desmarets, « Paris (LFA) contre Bruxelles », L’Auto, 30 octobre 1912.

[7« Le coq gaulois », L’Auto, 26 janvier 1911

[8« Nos footballeurs porteront dorénavant le coq gaulois », L’Auto, 4 février 1911

[9USFSA, « Commission football-association, séance du 9 mars 1911 », Tous les sports, 17 mars 1911

[10Robert Desmarets, « France (USFSA) contre Angleterre (AFA) », L’Auto, 23 mars 1911

[11Albert Collier, « Le match France-Angleterre d’association », Tous les sports, 31 mars 1911

[12Bohème 1-4 en 1911, Angleterre 1-7, Catalogne 7-0 puis 0-1 en 1912.

[13Matthieu Delahais, Bruno Colombari, Un maillot une légende, Solar, 2020, p. 17.

[14« Les Unionistes battent les Suisses », L’Auto, 11 mai 1914.

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