Les premiers Bleus : Joseph Verlet, un poloïste taillé comme un rugbyman

Publié le 3 novembre 2023 - Pierre Cazal

Auteur du tout premier pénalty de l’histoire de l’équipe de France en 1908, Joseph Verlet a aussi pratiqué le water-polo à un haut niveau. En sélection, il était chargé de faire le ménage devant son gardien grâce à un physique de déménageur.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
6 minutes de lecture

JPEG - 241.7 kio

Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Joseph Verlet fut sans doute l’un des moins brillants des premiers Bleus : son jeu consistait à donner de grands coups de botte vers l’avant, à l’aveugle – quoique dans le champ de jeu, signalent les journaux, ce qui est un compliment, tant la majorité des arrières de son temps se contentent de balancer la balle en touche, comme au rugby – mais il fut surtout une figure appréciée de ses coéquipiers, un « ambianceur », comme on dit aujourd’hui.

Doté d’un gabarit de pilier de rugby (1,73 m pour 94 kg… et même 110 sur le tard), Joseph Verlet faisait le ménage derrière, en tant qu’arrière dit « fixe » planté dans la surface, protégeant son gardien de but : comprenez qu’il dégageait de volée ou de demi-volée ( à condition de ne pas faire de « toile », ce qui n’était jamais garanti) toutes les balles qui passaient par là, et qu’il chargeait de tout son poids les attaquants adverses.

De tout son poids, mais pas plus : le football des années 1900 ignore les maillots tirés, les tailles ceinturées, on n’assiste pas, ou plus à une empoignade anarchique dans la surface, comme à l’époque (que n’a pas connue le football français, né plus tard) du « dribbling game » originel des années 1860-70 en Angleterre ou comme… aujourd’hui ! Les règles de 1863 ont abandonné au rugby mêlées et horions : le fin du fin, dans les années 1890 est de bannir tout contact physique, hors la charge à l’épaule, le football mise sur l’évitement, là où le rugby reste dans l’affrontement.

Un costaud chanté de protéger le gardien

Il n’empêche qu’on choisit toujours un costaud pour tenir le poste d’arrière fixe, l’arrière dit « volant » étant, lui, plus mobile, donc de gabarit plus léger, et chargé de déclencher la mise hors-jeu de l’adversaire. Rappelons que dans le 2-3-5, le système tactique unique (jusqu’en 1925), on défend à cinq (six avec le gardien), mais pas dans les mêmes positions qu’aujourd’hui : deux axiaux, deux latéraux plus haut (comme les pistons modernes) et un joueur central, pivot de l’équipe, le demi-centre. Les attaquants (cinq !) ne se replient pas en deçà de la ligne médiane, où ils attendent le ballon, et ne défendent donc pas. Verlet est ce costaud, très vif en dépit de son gabarit.

Il est né à Asnières le 16 août 1883 et a débuté au Cerce Pédestre d’Asnières, dès 1898. Comme la plupart à l’époque, il pratique plusieurs sports, dont le water-polo (il sera même international, pas moins de 17 sélections, paraît-il…). Disons-le tout net, les arrières de qualité ne se bousculent pas dans le football français des années 1900 : le principe bien connu, et qui a sévi encore très longtemps, selon lequel les moins doués étaient voués aux postes de défense (sauf cas où des avants choisissent de « reculer » volontairement, comme Canelle ou Hanot, mais aux postes d’arrières volants) prévaut. Les forts gabarits, peu importent leurs lacunes techniques, sont destinés au poste spécifique d’arrière fixe, où il s’agit de « déblayer », et surtout pas de dribbler !

International dès 1904, il marque le premier pénalty de l’histoire des Bleus

Verlet correspond au profil recherché, et de plus, extraverti, il a une personnalité dominante : il s’impose donc vite,et intègre la sélection nationale dès la naissance de celle-ci, c’est-à-dire, en 1904, les parties officieuses jouées contre les Anglais de Southampton (1-6) puis des Corinthians (4-11), avant de connaître l’honneur de participer au premier match officiel à Bruxelles (3-3). Jusqu’en 1908, il demeure, non un choix automatique, car il a des concurrents, Moigneu et surtout Sergent, qui lui est supérieur techniquement, mais un habitué de la sélection, où il figure six fois. Il a même l’insigne honneur de marquer un but, car il tire les pénalties, en force, on s’en doute. Il marque donc le but de l’équipe de France contre la Belgique en 1908, le premier pénalty, et le premier réussi !

Le Cercle Athlétique de Paris le 15 mai 1910. Joseph Verlet est debout, le quatrième en partant de la gauche (Photo agence Rol, BNF Gallica)

Ajoutons à son palmarès le match de 1909 contre l’Angleterre, version AFA (les habitués de cette série des premiers Bleus savent de quoi il s’agit sans que j’aie besoin d’expliquer, ou plutôt de réexpliquer), perdu 0-8. Verlet avait déjà participé à la défaite 0-9 contre le Danemark lors des jeux Olympiques de Londres : mais il ne convient pas de le rendre responsable de l’ampleur du score. Angleterre (amateur) et Danemark dominent incontestablement le football européen d’avant 1914, la preuve, c’est que ces deux équipes joueront les deux finales olympiques de 1908 et 1912.

La France est très loin de leur niveau, et les arrières peinent à s’opposer aux tentatives des attaquants anglais et danois, parce qu’ils monopolisent le ballon et l’amènent inexorablement dans la surface française. A l’époque, aucune équipe ne massait ses onze joueurs derrière, bouchant tous les espaces : cinq défenseurs essaient de contrecarrer cinq attaquants qui jouent au chat et à la souris avec eux. Le jeu de possession atteint son maximum d’efficacité dans ces conditions, parce qu’il y a des espaces.

Une défense CA Paris contre l’Italie

Il reste une dernière sélection à Joseph Verlet, en 1911 : comme tous les joueurs estampillés USFSA, il avait été écarté de l’équipe de France, désormais passée sous le contrôle du CFI, mais le temps de la réconciliation entre les fédérations finit par venir et Verlet redevint sélectionnable en 1911. Il fut donc retenu, au sein d’une défense entièrement composée d’éléments du même club, le CA Paris, Coulon-Bilot-Verlet, pour affronter l’Italie (2-2). Malheureusement, comme le souligne Achille Duchenne dans « Football », « Verlet fit la plus médiocre partie que je lui ai vu jouer, et ses excellents dégagements occasionnels ne purent que nous faire regretter encore plus vivement sa forme habituelle. » Résultat : il fut éliminé définitivement de l’équipe de France. Comme, par la suite, il s’en alla s’établir en Bretagne, sa carrière internationale, ou plutôt ses carrières, puisqu’il ne faut pas négliger le water-polo, s’interrompirent ainsi.

L’équipe de France face à la Belgique le 12 avril 1908. Joseph Verlet est debout, le deuxième joueur en partant de la droite (Photo agence Rol, BNF Gallica)

« Attaché au parquet »

Pourquoi ce départ en Bretagne, à Rennes ? Les circonstances n’en sont pas tout à fait claires, en raison du voile pudique jeté sur tout ce qui touchait au tabou de l’amateurisme. Verlet était ouvrier parqueteur, c’est-à-dire qu’il posait des parquets, originellement dans l’entreprise familiale, son père et ses deux frères (dont l’un, Georges, jouait avant-centre à la JA Saint-Ouen, affiliée à la FCAF) étant également parqueteurs. Dans l’autre « Football » (pour les connaisseurs, celui de Rossini et non plus celui de Barnoll), son ex-coéquipier Bigué parle ainsi de Verlet : « Verlet avait du gavroche la gaieté naturelle et le goût de la mystification. Je rappelle que Verlet, parqueteur de son état, donnait comme profession, dans le hôtels choisis par le CAP, celle d’attaché au parquet : c’est de l’humour, et du meilleur… ».

Il obtint, en 1911, plusieurs marchés pour poser des parquets à Rennes, à tel point qu’il décida de s’y établir à son compte, tout en prenant licence au Stade Rennais, les deux faits étant liés, sans l’avouer : tout avantage matériel consenti par un club pour attirer un joueur dérogeait aux sacro-saints principes d’un amateurisme pourtant déjà désuet. Pour le SRUC, c’était une belle prise, (« ce brave Verlet, qui est toujours l’homme que le public admire », écrit Ouest-Eclair) et pour Verlet, l’occasion d’avoir son indépendance matérielle.

Une fin misérable à 40 ans

Quoique jovial, Joseph Verlet n’était pas de caractère toujours commode : il a été condamné à une amende pour coups et blessures en 1914, à Rennes, se fâcha momentanément avec son club et s’en alla à la concurrence (l’US Rennaise, le Club Sportif Rennais) ; il finit d’ailleurs par privilégier le water-polo, tant au CS Rennais qu’aux Cheminots Rennais, au sein duquel il pratiquait encore à 40 ans, en 1923. Un voile, encore un, entoure son décès, en 1924. Les journaux parlent de « circonstances pénibles » sans préciser, et mentionnent l’ouverture d’une souscription pour financer une « sépulture décente ». Si l’on gratte un peu, on découvre une mise en faillite, en septembre 1923, et même une vente aux enchères après saisie, sans plus d’explications.

En insistant, on finit par découvrir ceci : « frappé et paralysé au cerveau, Joseph Verlet fut mis hors d’état de contrôler ses affaires, et est mort ainsi dans des conditions misérables ». Traduction, en termes modernes : Verlet a été victime en 1923 d’un AVC qui l’a laissé handicapé. Ames sensibles, ne lisez pas ce qui suit ! A l’époque, pas de prise en charge médicale, ni financière ; coupé de sa famille, Verlet n’a pas pu continuer à travailler, les dettes se sont accumulées et il a été saisi. Divorcé, il vivait seul, et il est probable qu’un second AVC l’a frappé à son domicile, où il a été trouvé le 22 juillet 1924… plusieurs jours après son décès.

Sans famille pour assumer les formalités et les frais de l’enterrement, sans secours venu de ses clubs, Joseph Verlet n’a bénéficié que des services réservés aux indigents par la ville de Rennes et son corps a été placé, de façon navrante, dans la fosse commune du cimetière. Ce n’est que plusieurs semaines après que des souscriptions ont été lancées, tant à Paris par le CAP qu’à Rennes, afin de payer au malheureux Verlet une sépulture décente.

Sic transit…

Les 7 matchs de Joseph Verlet avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 01/05/1904 Bruxelles Belgique 3-3 90 premier match de l’histoire
2 Amical 12/02/1905 Paris Suisse 1-0 90 première victoire
3 Amical 22/04/1906 Saint-Cloud Belgique 0-5 90
4 Amical 08/03/1908 Genève Suisse 1-2 90
5 Amical 12/04/1908 Colombes Belgique 1-2 90 marque le premier pénalty de l’histoire
6 JO 19/10/1908 Londres Danemark 0-9 premier match de compétition
7 Amical 09/04/1911 Saint-Ouen Italie 2-2 90
Vous êtes plusieurs milliers chaque jour à venir sur Chroniques bleues. Nous vous en sommes reconnaissants et nous aimerions en savoir plus sur vous. Avec, en cadeau, trois articles inédits au format pdf à télécharger !

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Vos articles inédits