23 juin 1984 : France-Portugal

Publié le 10 août 2019 - Bruno Colombari

Dans un Vélodrome en folie, Domergue, Tigana, Chalana et Jordao s’offrent un double retournement de score et un match splendide qui exorcise Séville et envoie les Bleus vers leur première finale.

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Cet article est publié dans le cadre de la série de l’été 2019, C’était l’Euro 1984.
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Le contexte

Tout va pour le mieux dans le meilleur des Euros pour l’équipe de France. Michel Hidalgo récupère même son stoppeur Yvon Le Roux, touché au genou contre le Danemark et absent lors des deux matchs suivants. Il ne lui manque que Manuel Amoros, qui purge son troisième et dernier match de suspension.

La première place obtenue grâce à trois victoires de rang offre aux coéquipiers de Giresse une demi-finale dans l’ambiance bouillante du stade vélodrome (plus grand stade de la compétition) et trois jours de récupération avant une éventuelle finale (contre deux pour l’autre finaliste, Espagne ou Danemark). Et l’adversaire n’est ni l’Allemagne ni l’Espagne mais le Portugal, que les Bleus avaient corrigé seize mois plus tôt à Guimaraes (3-0) avec trois passes décisives de Platini.

Tous les voyants sont au vert, et il faut être particulièrement pessimiste pour imaginer que le Portugal de Nené, Chalana, Gomes ou Jordao peut raisonnablement menacer l’invincible armada française. Pour se qualifier, les hommes de Fernando Cabrita ont fait deux nuls contre la RFA (0-0) et l’Espagne (1-1) avant de battre difficilement la Roumanie (1-0). Autant dire qu’ils ne brillent pas par leur attaque, mais que leur organisation défensive est très au point.

Michel Hidalgo aligne neuf joueurs ayant débuté contre le Danemark, plus Domergue (à la place d’Amoros) et Six (qui remplace Bellone). Le carré magique 2.0 est en place, ce qui relègue une fois de plus Genghini sur le banc, et confiance est faite à Bernard Lacombe en pointe. En face, l’organisation est très défensive, en 4-5-1 avec le seul Jordao en pointe, Cabrita ayant préféré Diamantino (dont c’est la première titularisation à l’Euro) à Fernando Gomes, qui débute sur le banc.

Le match

Dans un vélodrome baigné d’un soleil estival et balayé par un Mistral violent (ce sera aussi le cas 14 ans plus tard pour France-Afrique du Sud), les deux équipes font leur entrée par le tunnel situé près du corner côté nord. Les hymnes sont l’occasion de constater qu’aucun joueur ne chante la Marseillaise et que ça ne pose problème à personne (heureuse époque).

Les premières minutes sont hachées par de multiples fautes des deux côtés. Les espaces sont très réduits, comme face au Danemark, même si l’impact physique des Portugais est moindre. Hormis un ballon dégonflé renvoyé en touche par Bento pour un échange standard (7e), il ne se passe rien de notable pendant les dix premières minutes. Mais le pressing portugais ne laisse pas un mètre aux Bleus pour contrôler ou se retourner. Ça va être compliqué. Et quand une esquisse de contre se dessine avec un Platini lancé plein axe dans le rond central, le capitaine français pousse trop loin son ballon et se fait contrer par Lima Pereira (16e).

Des Portugais en mode hérisson

Les Bleus ne se créant pas d’occasion, les Portugais commencent à mettre le nez à la fenêtre par Diamantino, Jordao ou Chalana. On se dit que face à un adversaire en mode hérisson (le Portugal 2016 y ressemblera beaucoup), mieux vaut marquer en premier. A la 24e, un centre de Lacombe trouve Platini dans la surface, qui tente de rabattre de la tête pour Six, mais il est contré. Dans la continuité, alors que le contre portugais mené par Jordao a avorté, Six s’échappe sur la gauche, centre dans la surface pour Lacombe. Les Portugais se dégagent, le ballon revient dans l’axe sur Giresse qui sert Platini, fauché par Pereira. Coup franc légèrement à droite de l’axe, à 22 m des cages de Bento.

Bon anniversaire Jef !

Autour du ballon, disposés en arc de cercle, il y a cinq français : Fernandez et Domergue à droite, Le Roux dans l’axe, Platini et Giresse à gauche. Bento anticipe une frappe de Platini par dessus le mur et au moment où il fait un pas sur sa gauche, Domergue s’élance et frappe de l’extérieur du gauche, à ras de la tête de Joao Pinto. Le gardien portugais n’a pas bougé et le ballon finit près du poteau, petit filet. 1-0, le jour du 27e anniversaire du défenseur toulousain qui se pince pour y croire.

Le plus dur est fait, se dit-on. Les Portugais vont devoir sortir et les espaces vont s’ouvrir devant. Et comme l’attaque lusitanienne n’est pas prolifique, un deuxième but français ressemblerait à un aller simple pour Paris. Alors que le Portugal presse, on voit Fernandez, Tigana et Giresse descendre très bas, juste devant la défense pour fermer les espaces. On voit aussi le même Tigana monter haut presser les défenseurs portugais pour les gêner dès leur première relance. Et, comme d’habitude, il coupe de nombreuses passes dans le rond central et ne se fait pas prendre dans les feintes de corps de Chalana. Bref, il est partout.

Fernandez n’était pas hors-jeu

A la 38e, un centre de Tigana est dégagé à l’horizontale par Bento juste devant Six. Parfaitement lancé dans l’espace par Jordao, Diamantino oublie Chalana tout seul sur l’aile droite, puis est bloqué par Battiston.

A la 41e, une percée de Giresse arrive sur Six qui remet en retrait sur Fernandez, lequel sollicite Giresse pour une merveille de double une-deux qui déchire toute la défense portugaise, mais quand le milieu parisien se présente seul devant Chalana, il est signalé hors-jeu (à tort). Pour le fun, il marque quand même et fait signe à l’arbitre qu’il n’avait pas entendu son coup de sifflet. Les Bleus finissent bien la première période et donnent le ton de la seconde.

Envie de revoir le match en intégralité (avec des commentaires en anglais) ? C’est possible sur Footballia.

Le coup de billard de Luis

Au retour des vestiaires, Fernando Gomes a remplacé Diamantino. Les Portugais passent à deux vrais attaquants, trois en comptant Chalana. A peine le temps de se remettre en jeu que les Bleus se créent une énorme occasion : Giresse chipe un ballon dans le rond central, sert Platini en retrait qui lance Fernandez d’un extérieur du droit. Le Parisien se présente devant Bento et frappe à l’entrée de la surface. Le gardien portugais repousse, le ballon revient sur Fernandez qui le reprend du gauche et le met… à ras du poteau droit. A l’extérieur (46e).

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Deux minutes plus tard, c’est Giresse qui n’est pas attaqué et qui, à 20 mètres, déclenche une énorme frappe que Bento va chercher d’une claquette sous la barre (48e). La pression monte sur les buts portugais. Attention toutefois : une action Chalana-Gomes se termine par une tête lobée de ce dernier, que Bats capte en reculant (50e).

Jeu vertical, pluie d’occasions

Le volume de jeu du carré magique au milieu est impressionnant : Les quatre défendent ensemble et attaquent ensemble, en se trouvant les yeux fermés. Ça va tellement vite que devant, Six et Lacombe ont de plus en plus de mal à suivre le rythme. Ils ne finiront d’ailleurs pas le match.

A la 54e, les Bleus développent ainsi une merveille d’action verticale : dans la surface française, Fernandez est pressé par Alvaro et Gomes. Il se retourne, et d’un extérieur du pied trouve Six dans le rond central. Lequel s’appuie sur Giresse, qui lui remet la balle côté gauche. D’une touche, celui-ci trouve Platini parti dans le dos de la défense. Le capitaine des Bleus entre dans la surface, lève la tête, crochète Pinto et sert Giresse qui arrive lancé. Bento jaillit dans ses pieds et dégage en touche.

Deux minutes plus tard, encore une énorme occasion : Tigana de son camp trouve Platini qui sert Lacombe, lequel dévie pour Six côté gauche. Le centre en cloche de ce dernier arrive sur Giresse, dont la volée du droit passe devant Platini et sort à vingt centimètres du poteau de Bento, battu (56e).

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Illustration Erojkit.com

L’heure tourne, et toujours un seul but d’avance

Vous en voulez encore ? Fernandez tacle Sousa dans le rond central, Platini récupère, se retourne pour trouver Giresse dans son dos (comment l’a-t-il vu ?), Giresse glisse pour Platini qui, à l’entrée de la surface, crochète Alvaro et frappe du gauche. Bento claque le ballon au-dessus de la barre (60e). Côté français, on commence à se poser des questions. Dominer autant et n’avoir qu’un but d’avance, est-ce que ça ne va pas finir par se payer cher ?

Nené entre, les Portugais attaquent à quatre

D’autant qu’en face, Jordao côté droit cherche Gomes dans la surface d’un centre en cloche que Bats semble capter puis relâche. Pour l’instant les Portugais sont privés de ballon, mais eux aussi commencent à se dire que s’ils tiennent… C’est le moment que choisit Cabrita pour remplacer Sousa par Nené. Un milieu défensif par un attaquant. Certes pas tout jeune (34 ans !) mais auteur de plus de 300 buts avec le Benfica, où il a fait toute sa carrière. Quelques instants plus tard, Hidalgo sort Bernard Lacombe pour Jean-Marc Ferreri (66e).

Les espaces s’ouvrent maintenant, le milieu de terrain portugais est déserté. Une remise de Giresse trouve Platini dont la volée est captée par Bento (68e). Les Bleus attaquent au son de la charge de la brigade légère, jouée à la trompette dans les tribunes.

Jordão, la deuxième est la bonne

A la 72e, une attaque éclair de Chalana sur l’aile gauche se termine par un centre qui ne trouve pas preneur (Gomes est à peine trop court), mais qui fait passer des frissons dans les tribunes. Juste après, cardiaques s’abstenir : sur un corner tiré côté droit, Tigana se déchire, Gomes reprend à six mètres, Bats et Fernandez repoussent du pied sur la tête de Jordao, au-dessus (73e).

La suivante est la bonne. Une longue transversale de Pinto le long de la touche droite trouve Chalana à l’angle gauche de la surface. Celui-ci centre en cloche au point de pénalty où Jordao, lâché par Le Roux, devance Domergue pour loger tranquillement une tête dans la lucarne de Bats (1-1, 74e).

Les Bleus KO debout à un quart d’heure de la fin

C’est le foot dans toute sa cruauté. Le va-tout de Cabrita, avec ses quatre attaquants, a payé, et les Bleus sont KO debout à un quart d’heure de la fin. Que faire ? Pousser au risque de se faire contrer, ou assurer le résultat et aller aux prolongations ?

Les Portugais ont la main sur le match et jouent presque trop facile. Ferreri sort un ballon dangereux dans la surface devant Jordao, le donne à Bossis, qui sert Tigana. Ce dernier lance Giresse plein axe (le jeu vertical français est un modèle du genre) qui délivre un caviar pour Platini entre deux défenseurs portugais. Ce dernier bute sur Bento, encore sorti à grande vitesse. Le ballon revient sur Six qui tire du gauche. Bento, qui est en train de se relever, le dévie de la main. Le ballon monte en cloche et retombe… sur la transversale (79e).

Si même Platini n’y arrive pas...

Dans la minute qui suit, Ferreri lance un contre, est contré, le ballon lui revient, il trouve Platini dans la surface qui, au lieu de tirer du droit, se retourne et place un tir du gauche largement au dessus (80e). Le meilleur buteur de l’histoire des Bleus vient de rater deux occasions franches coup sur coup. Mauvais signe ?

Dans les cinq dernières minutes flotte une odeur de KO. Platini part en dribbles, il a trois Portugais autour de lui, tombe, et obtient un bon coup franc à vingt mètres plein axe. Il le frappe en force, le mur le dévie en corner. Six tente de le tirer direct, juste au-dessus de la barre de Bento. Ce sera la dernière occasion du temps réglementaire (86e).


 

Trente minutes de mieux

Comme à Séville, il va falloir jouer la prolongation. Mais là les Bleus ont été rejoints, à domicile qui plus est, alors que les Portugais ont évidemment obtenu ce qu’ils voulaient. Et eux n’ont absolument rien à perdre. Assis sur la pelouse du Vélodrome, les Bleus semblent touchés au moral. Leur débauche d’efforts en deuxième mi-temps n’a servi à rien.

Il faut moins de trois minutes aux Bleus, qui jouent très haut avec Giresse et Platini au pressing des défenseurs centraux (Ferreri et Six bloquant les côtés), pour se créer une première occasion. Giresse combine à droite avec Ferreri qui entre dans la surface, centre et trouve Platini à six mètres des buts qui se couche et dont la reprise contrée monte en cloche. Bento claque le ballon qui allait retomber sur la barre (93e).

Bats sauve les meubles, puis s’incline au rebond

La réplique ne se fait pas attendre. Au terme d’une remontée parfaite par Jordao, Nené et Pacheco, les Portugais trouvent à droite Joao Pinto dont le centre est repris sans opposition de la tête par Nené à sept mètres. Bats claque le ballon en corner au prix d’un superbe réflexe (96e). Encore une fois, la défense centrale est battue sur ce type d’action…

Juste après, Frasco combine avec Joao Pinto qui décale Chalana côté droit. L’ailier portugais crochète Domergue une fois, deux fois, centre du droit au second poteau. Jordao est à la réception et claque une reprise qui rebondit, monte et finit dans la lucarne opposée de Bats (98e, 1-2). Au Vélodrome, le thermomètre vient de chuter de plusieurs degrés.

L’ultime occasion de Six

Plus de calculs possibles maintenant. Il faut attaquer pour égaliser le plus vite possible. C’est ce que tente Platini en chipant un ballon dans les pieds de Pacheco et en lançant immédiatement Six plein axe. Ce dernier est un poil court devant le tacle de Bento à l’extérieur de la surface (99e). Six s’est blessé sur l’action qui va être la dernière de sa carrière internationale. Sur la touche, Bellone s’échauffe et rentre (101e).

L’instant où le Portugal a perdu le match

Alors que la moitié de la prolongation arrive, les Portugais ont une balle de break. Le Bleus ne sont pas encore replacés et le contre blanc est lancé. Eurico sert Nené qui part à grandes enjambées, décale Chalana à droite. Celui-ci croise Domergue qui remonte pour jouer le hors-jeu. Le juge de touche ne dit rien et les Portugais se retrouvent à deux contre un, Battiston revenant plein axe. Chalana sert Nené qui bute sur Joël Bats sorti à sa rencontre. C’est sans doute à cet instant que le Portugal perd le match, sur une balle de 1-3 (105e).

Fort Alamo au pied du virage Sud

Le dernier quart d’heure du match va encore faire monter d’un cran la légende. Les jambes sont de plus en plus lourdes, les esprits confus mais cette équipe-là ne peut pas sortir comme ça. Alors les Bleus se battent. Domergue trouve d’un long centre la tête de Le Roux, monté dans la surface. Ce dernier rabat le ballon pour Platini qui s’écroule au contact d’Eurico. Pénalty ? Non.

Sur l’aile gauche, Bellone s’active mais soit ses frappes ne sont pas cadrées ou sont contrées, soit ses centres arrivent au troisième poteau. Désormais c’est Fort Alamo au pied du virage sud. Les Portugais dressent un mur devant la surface que les Bleus attaquent de tous côtés.

Plus que dix minutes. Bellone centre au premier poteau, le ballon est mal géré par Lima Pereira et arrive à Fernandez dont la reprise du gauche longe la barre de Bento. Tigana est partout. Derrière pour bloquer Chalana, devant pour centrer en position d’ailier droit. Comment fait-il ?

Les quatre défenseurs à l’attaque, ensemble

Le Roux et Bossis montent alternativement pour jouer les ballons hauts dans la surface. C’est d’ailleurs Bossis, servi par Ferreri, qui déborde côté droit. Il est contré par Alvaro. Touche. Il trouve Giresse dans la surface. Celui-ci crochète, tire du gauche. Contré. Le ballon revient sur Battiston qui décale Domergue. Le Toulousain trouve Le Roux dans la surface, ce qui veut dire que les quatre défenseurs français sont à l’attaque en même temps. Le Roux pivote, tire, est contré, le ballon revient sur Platini qui, bloqué par Joao Pinto, cherche le pénalty. Domergue a suivi et frappe du gauche. But (2-2, 114e).

On ne calcule plus

Le Vélodrome est un volcan illuminé par les fumigènes. C’est l’Etna, c’est le Vésuve. Aucune équipe adverse ne peut survivre à ça, même pas ces Portugais magnifiques de courage et de discipline collective. Il reste cinq minutes et on ne va pas attendre les tirs au but. Comme un boxeur cherchant le KO, les Français attaquent encore, au risque d’un contre fatal.

Les Portugais semblent partagés entre jouer la sécurité ou tenter d’arracher la victoire. Mais l’ambiance est tellement survoltée qu’il est impossible de calculer. Alors ils attaquent, eux aussi. Mais Tigana remonte encore un ballon alors qu’on joue la 118e minute. Il sert Bellone côté droit, qui tente un centre dévissé. Le ballon semble entrer dans la cage près du premier poteau, Bento le sort, Platini et Le Roux lèvent les bras mais l’arbitre fait signe de jouer. Pas de Goal Line Technology à l’époque, ni même de caméra dans l’axe de la ligne de but. On ne saura jamais.

Fernandez, Tigana, Platini, d’un bout du terrain à l’autre

Les Portugais sont déjà repartis en contre. Chalana avance sans opposition côté gauche. Alvaro propose une solution le long de la touche. Face à Battiston, Chalana le sert d’un extérieur du gauche que Fernandez rattrape comme il le peut en extension. Dans la continuité, le Parisien remonte le ballon jusqu’au rond central et sert Tigana. La suite, c’est la séquence souvenir ci-dessous. Celle qui fait basculer ce France-Portugal dans la légende, qui éclipse Séville et qui ouvre les portes du Paradis (119e, 3-2).

Platini s’offre un sprint de 70 mètres jusqu’au banc français où il finit plaqué par Domergue et Le Roux avant de se relever, de se faire tapoter les joues par Hidalgo et d’aller taper dans les mains de Tigana.

On ne sait même plus s’il reste du temps à jouer. L’arbitre discute quelques secondes avec Platini avant de faire signe d’engager aux Portugais. La légende dira qu’il a demandé son maillot à Platoche. Toujours est-il qu’il siffle la fin alors que les Français ne jouent plus et que les Portugais lancent une dernière attaque. Ces derniers, très sportivement, applaudissent. Un supporter avec un bob tricolore vient claquer la bise à Platini dans le rond central. Pas de clapping comme après la demi contre l’Allemagne en 2016. Les Bleus rentrent au vestiaire sans plus de cérémonie. Avant d’entrer dans le tunnel, Platini lève le pouce vers le virage nord. Dans quatre jours, il y a une finale.

La séquence souvenir

119e : La remontée de balle de Fernandez arrive sur Tigana à 40 mètres des buts. Celui-ci donne un coup de rein plein axe, cherche Platini devant lui, mais sa passe est interceptée par Lima Pereira. Tigana continue, lui arrache la balle des pieds, perce une deuxième fois, entre dans la surface, déborde Eurico et alors que le ballon va sortir, il le redresse d’un centre en retrait devant la cage. Son geste prend à revers Frasco et Pacheco repliés devant la ligne et arrive sur Platini, derrière son pied d’appui. Ce dernier contrôle, et allume à mi-hauteur à cinq mètres des buts, au-dessus de Bento, des deux défenseurs au sol et d’Eurico qui voit le ballon frôler sa tête. Il faudra attendre le but de David Trezeguet contre l’Italie, seize ans plus tard, pour connaître une pareille délivrance. Sur un centre en retrait, encore une fois.

Le Bleu du match : Jean Tigana

Ça aurait pu être évidemment Jean-François Domergue, qui a inventé ce soir-là le principe du défenseur providentiel dont s’inspireront plus tard Lilian Thuram (1998), Mamadou Sakho (2013) ou Benjamin Pavard (2018). Ça aurait pu être Joël Bats, Michel Platini ou Alain Giresse. C’est finalement Jean Tigana. Parce qu’on est à Marseille, à quelques kilomètres des Caillols où il a grandi. Parce que son geste fou de la 119e minute, terminé par une offrande, est de ceux qui entrent tout droit dans la légende. Et parce qu’il fait ça le soir de son anniversaire, qu’il ne veut surtout pas fêter avec une séance de tirs au but.

Avant le but victorieux que l’on peut lui attribuer à au moins 70%, il a fait un match extraordinaire, semblable à celui de Séville deux ans plus tôt qui avait envoyé le colosse Briegel en assistance respiratoire. Sur la pelouse du Vel’, Tigana est partout, derrière, devant, au milieu, il couvre une surface démesurée, il ratisse, il distribue, il joue toujours vers l’avant. Et surtout, il est l’un des rares à ne pas baisser la tête après le but du 1-2. Son match est un acte de foi.

L’adversaire à surveiller : Fernando Chalana

L’ailier gauche de Benfica a commencé en sélection à l’âge de 17 ans, mais il en a 25 quand l’Europe le découvre enfin lors de l’Euro. Tout petit gabarit (1,65 m), moustachu et cheveux longs, c’est un dribbleur redoutable et très véloce qui va littéralement charmer le président bordelais Claude Bez qui va casser sa tirelire pour lui (18 millions de francs).

A Marseille, il va faire tourner en bourrique Patrick Battiston mais aussi Jean-François Domergue, en permutant sur les deux ailes. C’est lui qui centre parfaitement pour la tête égalisatrice de Jordao. C’est lui encore qui crochète Domergue et trouve Jordao au second poteau, lors de la première prolongation, pour le but qui fait passer le Portugal devant. C’est lui enfin qui, au terme d’un contre perforant, sert Nene dans la course pour la balle de match, mais Bats sauve la mise.

La petite phrase

Michel Hidalgo, en quittant la pelouse du Vélodrome : « ne me parlez surtout pas maintenant de la finale. Il y a cinq minutes encore, nous étions éliminés. » Comment ne pas faire le parallèle Séville 82-Marseille 84, et Marseille 2016-Saint Petersbourg 2018 ? Dans les deux cas, une demi-finale où l’on s’est vu trop beau, trop tôt. Et deux ans arès, une autre gérée froidement avec la détermination de gagner la finale qui va suivre, que ce n’est qu’une étape. Platini a dit que sans Séville, il n’y aurait pas eu Marseille. Sans doute que sans la douche glacée de Saint-Denis le 10 juillet 2016, il n’y aurait pas eu l’averse triomphale de Loujniki le 15 juillet 2018.

La fin de l’histoire

Séville est consolée à défaut d’être oubliée, la RFA n’est plus là pour donner des cauchemars aux Bleus qui atteignent enfin, 80 ans après, la finale d’un grand tournoi après avoir franchi le palier des demi-finales qui leur avait été fatal en 1958 (Brésil, 2-5), 1960 (Yougoslavie, 4-5) et 1982 (RFA, 3-3). Le plus dur est fait mais il est hors de question d’échouer si près du but. Pourtant, comme face au Danemark en ouverture, l’équipe de France va beaucoup souffrir pour venir à bout de l’Espagne, à croire que ce Parc des Princes où elle a réalisé tant d’exploits la paralyse.

Terriblement déçus d’être passés si près du but, les Portugais vont tout de même se qualifier pour la Coupe du monde 1986 au Mexique (premier tour), mais c’est entre 2000 et 2006 que la Seleçao va briller, chutant en finale de son Euro en 2004 contre la Grèce et deux fois en demi-finale face aux Bleus. Les Portugais prendront leur revanche en 2016 en devenant champions d’Europe à Saint-Denis contre la France. Manuel Bento, le gardien héroïque de Marseille, ne verra pas ça : il est mort en mars 2007 d’une crise cardiaque à 58 ans.

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