Rarement en France un footballeur n’a fait l’objet d’une détestation aussi unanime. Harald Schumacher, plus généralement prénommé Toni, est devenu un monstre honni dans tout l’hexagone à partir du 8 juillet 1982 à l’issue de la demi-finale de Coupe du monde disputée à Séville. Son inqualifiable agression sur Patrick Battiston, d’une violence rarement atteinte sur un terrain de football, est restée dans toutes les mémoires, tout comme l’attitude agressive et brutale dont il fit preuve à l’égard des Français tout au long du match.
Le monstre de Séville
Curieusement, c’est un comportement qu’on ne retrouva jamais un autre jour chez le gardien allemand durant les années où il gardait les buts de la Mannschaft ouest-allemande, entre 1979 et 1987. Sans le pénible souvenir de Séville, Toni Schumacher resterait considéré comme l’un des plus grands gardiens de son temps et aurait conservé une image somme toute sympathique, faisant même parfois preuve de fair-play sur le terrain. Mais le soir de Séville, le Colonais semblait être un autre homme. Plus nerveux qu’à l’accoutumée, son attitude interroge encore et ouvre la porte à toutes sortes de théories.
Par la suite, le gardien allemand a toujours réfuté le caractère belliqueux de l’action qui l’a rendu célèbre. Selon lui, c’était un incident de jeu, un choc malencontreux, une maladresse. Jamais une agression. L’examen minutieux des images ne permet pourtant pas de valider sa version. La désinvolture dont il fit preuve pendant que l’on soignait sa victime inconsciente n’a fait que renforcer ce sentiment d’une agression délibérée.
Toni Schumacher s’est efforcé d’apaiser les tensions en se prêtant au jeu des excuses publiques envers le joueur qu’il a blessé. Mais rien n’y fit, il avait commis l’irréparable en plus d’être le responsable de l’élimination des Français. L’incroyable clémence de l’arbitre Charles Corver sur cette action n’a fait que renforcer le sentiment d’injustice. Cela n’a pas empêché l’intéressé de poursuivre sa carrière, ni même de rencontrer de nouveau l’équipe de France par la suite.
L’homme qui succéda à Sepp Maier
C’est en mai 1979 que Toni Schumacher garde pour la première fois les buts de l’équipe d’Allemagne de l’Ouest. C’est pourtant bien avant qu’il a croisé une première fois la route de l’équipe de France A. Quatre ans et demi plus tôt, en août 1974, son club, le FC Cologne, est invité au Parc des Princes pour disputer face aux Bleus une rencontre de début de saison organisée par l’UNFP, le syndicat des footballeurs professionnels.
Toni Schumacher n’est alors âgé que de vingt ans. Malgré son jeune âge, il est le gardien titulaire du club rhénan depuis une saison. Au Parc des Princes, devant 25.667 spectateurs, le portier prometteur garde sa cage inviolée (0-0) devant les hommes de Stefan Kovacs. A l’époque, le gardien de la sélection ouest-allemande est l’immense Sepp Maier.
C’est à la fin de la saison 1978/1979 que Harald Schumacher est appelé par le nouveau sélectionneur Jupp Derwall. Celui-ci a pour mission de tourner la page de la Coupe du monde 1974 et de qualifier son équipe pour le championnat d’Europe 1980. A Reykjavik, le gardien de Cologne remplace Sepp Maier à la mi-temps.
Deux mois après cette rencontre, le 14 juillet 1979, le gardien bavarois est victime d’un terrible accident de la route. Si sa vie est sauve, sa carrière est terminée. Il était prévu qu’Harald Schumacher lui succède, l’accident n’a fait que précipiter les choses. Le Colonais devient champion d’Europe en 1980 à Rome avec l’équipe de RFA et fait déjà partie des meilleurs gardiens du continent.
De Hanovre à Guadalajara
Avec l’équipe de RFA, Toni Schumacher croise la route de l’équipe de France une première fois en novembre 1980, quelques mois après le titre européen. A Hanovre, le score de la rencontre (4-1) donne un aperçu de la différence encore nette entre les deux sélections. Tandis que son homologue Dominique Dropsy encaisse les buts de Kaltz, Briegel, Hrubesch et Allofs, le gardien allemand concède un penalty de Jean-François Larios peu avant la pause alors que son équipe mène déjà 2-0.
Les retrouvailles ont lieu à Séville. C’est peu dire que ce 8 juillet 1982, Toni Schumacher entre dans l’histoire du football français. Il encaisse un nouveau penalty, cette fois-ci tiré par Michel Platini, puis deux autres buts tricolores signés Marius Trésor et Alain Giresse. Entre-temps, il y a cette agression contre Patrick Battiston, qu’il ne cessera jamais de justifier sans parvenir à convaincre. Au bout des prolongations, le gardien colonais se montrera décisif en repoussant les tirs au but de Didier Six et Maxime Bossis.
Bien malgré lui, Toni Schumacher a vu sa notoriété internationale se décupler. Il concentre sur sa personne toutes les tares d’une équipe allemande à l’image déjà passablement écornée par un non-match contre l’Autriche, de multiples affaires en coulisses et même des rumeurs de dopage. Le gardien allemand reste hermétique à la pression. Il n’a pas pas peur de se rendre au Parc des Princes quelques semaines après la fin du Mondial espagnol pour disputer, sous les sifflets, le tournoi de Paris avec son club.
Meilleur gardien de l’Euro 84
Alors que l’équipe allemande est qualifiée pour l’Euro 1984 organisé en France, elle est invitée quelques semaines plus tôt à une rencontre de préparation à Strasbourg contre les Bleus de Michel Hidalgo. Schumacher y retrouve Amoros, Bossis, Genghini, Six, Rocheteau et bien entendu Patrick Battiston. Plutôt qu’une revanche de Séville, la rencontre de la Meinau est annoncée comme une projection de la finale du futur championnat d’Europe. Le seul but de la rencontre est signé Bernard Genghini. Toni Schumacher, tout de jaune vêtu, concède sa première (et seule) défaite contre l’équipe de France.
France et RFA ne se retrouveront pas à Paris le 27 juin 1984. L’équipe de Jupp Derwall passe à côté de son tournoi. Harald Schumacher a pourtant été excellent mais il concède à la toute dernière minute du match contre l’Espagne un but de Antonio Maceda qui élimine son équipe. L’Allemand, prostré au fond de son but, accroché aux filets, laisse une image de grand battu. Il sera malgré tout désigné comme le meilleur gardien du tournoi.
La revanche de Séville aura plutôt lieu à Guadalajara, le 25 juin 1986. Un curieux destin a en effet convié les deux équipes à une nouvelle demi-finale de Coupe du monde. Toni Schumacher retrouve six Tricolores de Séville (Amoros, Bossis, Platini, Tigana, Giresse et Battiston). Son tournoi mexicain a été brillant et il reste considéré comme l’un des meilleurs gardiens du monde. Contre les Français, il fait un match remarquable. Son homologue Joël Bats, en revanche, se montre sous un mauvais jour en manquant un arrêt sur un coup franc de Andreas Brehme. La rencontre bascule. Les Bleus n’auront pas leur revanche.
Mais Schumacher ne l’emporta pas au paradis. En finale contre l’Argentine, il sera à son tour coupable de petites défaillances dont sauront profiter les Argentins, Diego Maradona en tête. On n’ose imaginer combien la rancoeur du public français aurait été multipliée si Shumacher avait été champion du monde. L’histoire du gardien allemand est intimement liée à celle de l’équipe de France des années 1982-1986. Il fut le rempart des illusions françaises, l’implacable symbole d’une Allemagne qui gagne toujours à la fin, laquelle en l’occurrence justifie les moyens.
Cinq rencontres contre les Bleus
Sel. | Match | Date | Lieu | Équipe | Score |
---|---|---|---|---|---|
. | UNFP | 20/08/1974 | Paris (Parc) | FC Cologne | 0-0 |
10 | Amical | 19/11/1980 | Hanovre | RFA | 1-4 |
31 | CM 1982 | 08/07/1982 | Séville | RFA | 3-3 (4-5 tab) |
47 | Amical | 18/04/1984 | Strasbourg | RFA | 1-0 |
73 | CM 1986 | 25/06/1986 | Guadalajara | RFA | 0-2 |
Jean-François Larios (sur penalty), Michel Platini (sur penalty), Marius Trésor, Alain Giresse et Bernard Genghini sont les cinq joueurs de l’équipe de France à avoir marqué un but à Harald Shumacher. Platini et Giresse peuvent même en compter deux si l’on tient compte des tirs au but, auxquels il convient donc d’ajouter Manuel Amoros et Dominique Rocheteau.