25 juin 1986 : RFA-France

Publié le 16 février 2021 - Bruno Colombari - 1

Aussi frustrant que la finale de 2016 contre le Portugal et aussi inéluctable que le quart de finale 2014 à Rio, ce match signe la fin de la génération 82-86, celle de Platini, Giresse, Bossis, Rocheteau et Tigana. Elle ne sera jamais championne du monde.

9 minutes de lecture
Mise à jour d’un article initialement paru en novembre 2017.


Le contexte

Quatre ans après Séville, les deux protagonistes se retrouvent au même stade de l’épreuve, à Guadalajara (Mexique) pour ce qui a toutes les apparences d’une revanche. Mais il s’est passé beaucoup de choses depuis 1982, et bien sûr l’Euro 84 remporté par des Bleus étincelants (cinq victoires, quatorze buts marqués dont neuf par Platini) alors que la RFA n’est pas sortie du premier tour (battue par l’Espagne à la dernière minute de jeu). Si on ajoute à ça une victoire française à Strasbourg deux mois avant l’Euro (1-0), il est évident que les Bleus ont l’ascendant avant le coup d’envoi.

Et ce n’est pas les cinq matchs joués au Mexique jusqu’à la demi-finale qui vont inciter les supporters français à la prudence : les Bleus ont commencé poussivement contre le Canada (1-0), ont fait jeu égal avec une redoutable sélection soviétique (1-1) et n’ont fait qu’une bouchée d’une faible Hongrie (3-0). Puis ils ont sorti deux triples champions du monde coup sur coup, l’Italie d’abord (2-0) puis le grand Brésil de Tele Santana (1-1, tirs au but).

En face, le parcours allemand fait plutôt peine à voir : match nul contre l’Uruguay (1-1), victoire arrachée à l’Ecosse (2-1) et défaite contre le Danemark (0-2). En huitièmes, les hommes de Franz Beckenbauer piétinent jusqu’à la 87e minute pour trouver l’ouverture face au Maroc (1-0) et sont poussés aux tirs au but par le Mexique en quart (0-0). Si cinq Allemands étaient là à Séville (Schumacher, Förster, Briegel, Magath et Rummenigge), le reste de l’équipe est aussi sexy qu’une machine-outil à emboutir de la tôle, hormis Klaus Allofs et Lothar Matthäus : qui se souvient de Brehme, Jakobs, Rolff ou Eder (pas le Brésilien de 1982 ni le Portugais de 2016) ?

William Ayache, suspendu contre le Brésil, fait son retour en défense, et c’est Bruno Bellone, auteur d’une bonne rentrée en quart, qui remplace Dominique Rocheteau forfait pour blessure. Lequel Rocheteau est impliqué dans les cinq derniers buts français : il en a marqué un contre la Hongrie et vient d’enchaîner quatre passes décisives (Hongrie, Italie deux fois, Brésil). On parle beaucoup de Stopyra et du carré défensif Battiston-Bossis-Fernandez-Tigana, mais Rocheteau est sans doute le joueur-clé des Bleus.

Autant dire que le reste de l’équipe (Joël Bats dans les cages, Maxime Bossis, Patrick Battiston et Manuel Amoros en défense, le carré magique Luis Fernandez, Jean Tigana, Alain Giresse et Michel Platini au milieu et Yannick Stopyra en pointe) s’apprête à disputer son troisième choc en huit jours, en haute altitude (1500 mètres) et à midi. C’est énorme pour une équipe qui compte quatre trentenaires et dont les articulations commencent à siffler. Pour ne rien arranger, il a beaucoup plu à Guadalajara et la pelouse du stade Jalisco part en morceaux. Un stade aux tribunes occupées aux deux-tiers seulement, désertées par les Brésiliens dont c’était le stade exclusif depuis le premier tour.

Le match

Si certains s’attendaient peut-être à un récital comme face au Brésil quatre jours plus tôt ou à un drame antique comme à Séville quatre ans auparavant, les quatre premières minutes ont suffit pour calmer les espérances : au bout de dix secondes, Brehme découpe proprement Stopyra qui venait d’intercepter une passe latérale et qui reste au sol près d’une minute. S’ensuivent trois coups francs, deux touches et une sortie de but. Schumacher enlace Fernandez après avoir intercepté un centre de Platini. Le ton est donné, on ne va pas s’amuser.

D’entrée, le but qui fait mal

A la 8e, alors que le jeu est haché, une attaque allemande côté droit se développe avec Magath qui lance Rummenigge, lequel s’effondre juste avant la surface. A vitesse réelle, Manuel Amoros ne semble pas toucher l’attaquant, mais aucun ralenti ne permet de revoir l’action. Luigi Agnolin siffle coup franc, Magath décale Brehme dont la frappe lourde contourne le mur français. Bats plonge du bon côté mais le ballon lui échappe comme une savonnette et rentre. 0-1 à la 9e minute.

L’affaire est mal engagée, mais il reste plus d’une heure vingt. Avec une équipe plus fraîche, plus lucide, moins obsédée par l’esprit de revanche aussi, ce serait jouable. A la 12e, un centre de Bellone remis de la tête par Platini arrive sur Giresse dont la frappe n’est pas cadrée. Tout comme la volée de Bossis à la 15e, sur une énorme occasion suite à un coup franc de Giresse et une frappe de Platini (voir la séquence souvenir ci-dessous).

Les mauvais choix de Platini

Si Bellone percute tant qu’il peut sur le côté de Brehme, Stopyra est trop peu trouvé dans l’axe, où l’absence de Rocheteau se fait cruellement sentir. Platini semble nerveux, mal à l’aise [1] et multiplie les mauvais choix, notamment sur un coup franc qu’il veut frapper en force (25e), en glissant sur une somptueuse ouverture de Stopyra qui lui ouvrait l’accès au but (26e) ou en étant devancé par Rolff sur un centre parfait d’Ayache (44e).

A chaque perte de balle ou presque succède une faute, car un contre victorieux allemand serait fatal. Il y a des espaces partout et notamment au milieu de terrain. En vivacité, les Bleus passent facilement des Allemands un peu lourds, mais le jeu collectif n’est pas en place, Platini désertant la construction pour jouer devant. Au jeu de passes courtes contre le Brésil succèdent des raids solitaires et de longs ballons devant. Cette RFA-là est pourtant moins forte que celle de Breiner, Kaltz et Littbarski de 1982, c’est l’évidence. Mais elle ne lâchera rien et le temps qui passe joue pour elle.

Bats décisif

A la demi-heure, la Mannschaft accélère et sème la panique dans la défense française : un une-deux Eder-Briegel est contré par Ayache, le ballon revient sur Rummenigge dont la frappe est repoussée par Bats qui se couche dans la foulée sur un tir tendu de Matthaüs. Le KO était tout près. Trois minutes plus tard, nouveau frisson avec un relais de Rolff pour Allofs qui se présente devant Bats, mais le gardien français est chaud et repousse la tentative, ainsi que la frappe de Magath qui suit (33e).

Les dernières minutes de la première mi-temps ressemblent au début du match, avec de nombreuses fautes (dont un tacle sauvage d’Amoros sur Matthaüs) et des ballons perdus trop vite par les Français qui semblent de plus en plus fébriles devant ce match qui leur échappe.

Un quatrième quart d’heure sans ressort

Alors qu’il leur aurait fallu attaquer la deuxième période pied au plancher, les Bleus piétinent et tentent de revenir au score par des coups francs. A la 51e, Platini en obtient un à sa distance préférée, vingt mètres légèrement sur la gauche du but allemand. Mais il le joue à deux avec Amoros et sa feuille morte n’est pas cadrée. Pas son jour, clairement.

Rolff, pas chargé, allume Bats d’un missile de 25 mètres (que de tirs à longue distance dans ce match !) à la 52e avant que Beckenbauer ne sorte son capitaine Rummenigge pour Rudi Voller, du poste pour poste pour se garder la possibilité de contrer.

A la 59e, un long centre de Tigana trouve Bellone au second poteau, dont le centre en retrait est contré par Rolff. Par un coup de billard, le ballon lui revient dans les pieds, mais au lieu de tirer dans un angle fermé, Bellone cherche Stopyra qui est pris à contre-pied. Encore raté.

Les Allemands au bord de la rupture

On est entré dans la dernière demi-heure, et alors que les mâchoires du piège se referment sur les Bleus, Luis Fernandez s’arrache, lance Stopyra côté droit, qui laisse Jakobs sur les fesses, accélère, percute, frappe, mais Schumacher repousse du pied comme il peut (63e).

Henri Michel remplace Bellone par le Lensois Daniel Xuereb, qui n’a pas encore joué dans cette Coupe du monde, et juste après, le nouvel entrant relaie un service de Giresse pour Platini hors-jeu de quelques centimètres, alors que le ballon était déjà dans les filets de Schumacher (67e). Les Allemands sont au bord de la rupture, et s’ils encaissent un but maintenant, il n’est pas certain qu’ils tiennent le choc. Alors ils font parler l’expérience, cassent le jeu, grattent de précieuses secondes.

Nouveau choix curieux de la part du sélectionneur : Alain Giresse, qui n’aura jamais fait de réelle différence et dont c’est la dernière sélection, sort pour Philippe Vercuysse, l’autre Lensois lui aussi novice en Coupe du monde, alors que Jean-Marc Ferreri , doublure attitrée de Giresse, n’était pas sur la feuille de match.

Battiston est impérial

Derrière, alors que la moindre erreur est interdite, Battiston fait un match monstrueux, coupant toutes les attaques allemandes, balayant la largeur du terrain d’une touche à l’autre. Ce match a une signification particulière pour lui, évidemment, on le sent animé d’une détermination à traverser les murs.

Platini, lui, gâche encore un coup franc trop vite joué pour chercher Fernandez hors-jeu de deux mètres (80e). On est dans le money-time désormais, et il n’est plus temps de réfléchir. Les Bleus poussent alors avec l’énergie du désespoir, mais il leur manque le sang-froid qui avait permis de contenir le Brésil quatre jours plus tôt.

Le match devient irrespirable, et on regarde le cœur serré cette si grande génération disparaître sous nos yeux. A la 87e, une belle combinaison Fernandez-Vercruysse-Amoros revient sur Vercruysse, dont le centre trouve la tête de Stopyra qui n’est pas cadrée. Juste après, Harald Schumacher relance directement sur Vercruysse, qui s’avance, entre dans la surface côté droit… et ne frappe pas, préférant une passe hasardeuse vers Platini.

Trois occasions dans les deux dernières minutes

Il reste deux minutes. A quarante mètres des buts allemands, Battiston s’arrache encore une fois pour couper un contre et poursuit son action sur le côté gauche. Le ballon passe par Platini, puis Stopyra, qui remet encore parfaitement pour Battiston qui arrive à l’angle des 5,50 mètres. Plutôt que servir Xuereb au second poteau, il choisit de tirer sur Schumacher. Ça ressemble à la toute dernière cartouche.

Il y en aura pourtant encore deux. Car sur une énième récupération de Tigana le long de la touche, Platini cherche Stopyra d’un long centre, mais Schumacher s’interpose d’une horizontale supersonique. Nouveau centre de Platini, le ballon est dégagé n’importe comment par une défense allemande à l’agonie, Fernandez le remet d’une tête retournée sur… Bossis, qui écrase sa reprise de volée du point de pénalty. Ecœuré, Platini fait mine de shooter dans la tête de Schumacher qui se relève, relance aussitôt sur Magath, lequel sert Völler en contre par dessus Battiston. Bats, sorti à l’aventure hors de sa surface, est lobé par Völler qui est à la retombée de son drop et pousse le ballon dans le but vide. C’est terminé.


 

Le match complet est disponible sur Footballia.fr


La séquence souvenir

A la 15e, sur une attaque allemande, Rummenigge perd le ballon, contré par Ayache devant la surface française. Celui-ci passe à Tigana se fait un petit plaisir en enchaînant un grand pont sur Magath, une percée de quarante mètres plein axe, puis un autre grand pont sur Förster qui décide que ça suffit et accroche le Français au passage à 25 mètres à droite des cages allemandes.

Giresse tire le coup franc en louche par dessus le mur pour Platini dont la volée est repoussée par Schumacher sur… Bossis qui, surpris, ne cadre pas sa frappe du gauche alors qu’il était sur la ligne des 5,50 mètres, cage ouverte. Il est signalé hors-jeu, alors que le ballon revenait du gardien… Les Bleus viennent de laisser passer leur plus belle occasion de revenir rapidement dans le match.

Le Bleu du match

Yannick Stopyra. Durement séché d’entrée par Brehme (comme le sera d’ailleurs Henry par Cannavaro en 2006), l’avant-centre des Bleus se sera battu avec rage et détermination. Sans Rocheteau à ses côtés, avec qui il se complétait si bien, et mal servi par un duo Platini-Giresse hors du coup, il a eu le mérite de provoquer sans cesse la défense centrale Förster-Jakobs qui ne lui a fait aucun cadeau.

On le retrouve parfois côté droit, Platini occupant la pointe de l’attaque. Sa sublime ouverture de la 25e aurait d’ailleurs pu devenir une passe décisive. A la 44e, il sert superbement Ayache dans l’espace, Ayache dont le centre est contré par Rolff sous le nez de Platini. A la 63e, sa percée rectiligne est repoussée comme il peut par Schumacher. A la 87e, il est encore là pour prolonger de la tête un centre de Vercuysse. A côté.

L’adversaire à surveiller

Harald Schumacher. L’ennemi juré de millions de supporters français est encore là, et même s’il s’est réconcilié depuis Séville avec Patrick Battiston, le souvenir de l’attentat de 1982 est encore à vif. Malheureusement pour les Bleus, le gardien du FC Cologne est cet après-midi-là d’un calme olympien. sur l’occasion de Bossis à la 15e, il détourne une volée de Platini avant que le libéra français ne place sa reprise au-dessus. Les tirs des Bleus ne l’inquiètent pas, comme celui de Tigana à la 39e.

En deuxième période, après avoir récupéré le brassard à la sortie d’un bien terne Rummenigge, il a le mérite de sortir une grosse occasion de Stopyra (64e) puis de s’interposer devant Battiston (88e) et Bossis (90e) et de couper un centre de Platini (90e). Et sa relance parfaite en bras roulé pour Magath est une avant-dernière passe qui entraîne le but de Völler dans les ultimes secondes de jeu. Sa seule erreur aura été une sortie de but jouée trop vite à la 87e qui arrive dans les pieds de Vercuysse, mais le Lensois n’en profite pas.

La petite phrase

« Même si je n’ai que 25 ans, je ne serai peut-être plus jamais aussi près d’un truc aussi énorme qu’une finale de Coupe du monde ». Yannick Stopyra, quelques heures après le match, à l’hôtel Real de Chapala. Il jouera encore deux ans avec les Bleus, ajoutera onze sélections et trois buts à ses statistiques personnelles. Mais plus aucune phase finale.

La fin de l’histoire

Pour la génération de 1955, ce 25 juin 1986 a des allures de dernier tour de piste. On ne verra plus Dominique Rocheteau (forfait), Max Bossis jouera un bout de la troisième place contre la Belgique et Platini fera ses adieux un an plus tard. Jean Tigana jouera encore six fois jusqu’en 1988. Quant à la RFA, elle sera dominée en finale par l’Argentine de Maradona, lequel donnera le coup de grâce sous la forme d’une passe décisive pour Burruchaga, alors que les Allemands sont revenus à 2-2. Pour l’anecdote, la responsabilité de Schumacher est engagée sur les trois buts argentins. A quatre jours près…

[1Depuis le début du mondial, il joue sous anti-inflammatoires à cause d’une tendinite tenace.

Vos commentaires

  • Le 2 janvier 2021 à 23:45, par Nhi Tran Quang En réponse à : 25 juin 1986 : RFA-France

    « qui se souvient de Brehme, Jakobs, Rolff ou Eder ? »
    Je veux bien qu’on ne se rappelle pas au niveau international pour Norbert Eder (qui a été un international éphémère qui a joué ses 9 sélections sur une seule année -1986- & qui a plus de 250 matches en bundesliga dont un passage au Bayern Munich entre 84-88) voire Ditmar Jakobs (20 sél entre 80-86, presque 500 matches en bundesliga), Wolfgang Rolff (37 sél entre 83-89, plus de 350 matches en bundesliga avec au passage un petit tour au RC Strasbourg) - qui eux 2 ont été d’honnêtes joueurs internationaux sans pour autant être des cracks -
    Par contre Andréas Brehme n’est pas un inconnu pour l’histoire du foot international contrairement aux 3 autres, il est dans la lignée des grands arrière gauches allemand, il s’est déjà distingué dans plusieurs competes puisqu’il a été élu dans l’équipe type de l’Euro 84 & 92 & de la coupe du monde 90 (il marque 3 buts dans cette édition dont celui de la victoire lors de la finale). Il compte 86 sélections pour 8 buts (dont 4 en coupe du monde). Il a joué à Kaiserslautern (auquel il a été champion d’Allemagne en 98) au Bayern Munich (champion en 87), à l’Inter Milan (champion en 89, vainqueur de la c3 en 91) & au Réal Saragosse.

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