1982, une année dans le siècle

Publié le 26 août 2012 - Bruno Colombari - 2

L’explosion d’Amoros, la folle nuit de Séville, l’arrivée de Luis Fernandez : l’année de Thriller et de E.T. n’a manqué ni de grandes frayeurs ni de belles émotions. Elle a surtout vu les Bleus changer de statut.

6 minutes de lecture

Le contexte historique

JPEG - 60.1 kioL’année 1982 est marquée par la guerre des Malouines entre l’Argentine, qui réclame ses droits sur l’archipel, et l’Angleterre. L’armée argentine occupe les îles le 2 avril, celles-ci sont reprises par une offensive anglaise en mai et la junte de Buenos Aires capitule le 14 juin. Autre drame cette année là, les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en septembre par des phalangistes chrétiens libanais avec la complicité de l’armée d’occupation israélienne. En France, deux attentats frappent la capitale, en avril rue Marbœuf et en août rue des Rosiers. En novembre, la mort de Leonid Brejnev annonce le déclin de l’URSS.

Cette année-là disparaissent Romy Schneider et Patrick Dewaere, alors que le film d’Alan Parker, Pink Floyd The Wall, est présenté à Cannes et que Steven Spielberg sort son E.T. En fin d’année, Michael Jackson triomphe avec Thriller.

Le contexte sportif

La demi-finale de coupe UEFA de Sochaux en 1981 n’a pas eu de suite, et le football français ne s’impose toujours pas au niveau européen. Si Monaco domine la scène nationale, Saint-Etienne est encore bien là, deuxième à un point au terme du championnat (avec un 9-2 contre Metz à la dernière journée) et une finale de coupe de France perdue aux tirs au but contre le PSG, pour la dernière saison française de Michel Platini transféré à la Juventus. A l’entame de la coupe du monde, la RFA championne d’Europe en titre et son ballon d’or (Karl-Heinz Rummenigge) ne sont pourtant pas donnés favoris, contrairement à l’Argentine de Maradona et au Brésil de Socrates et Zico. Le football anglais, qui vient de remporter six coupes d’Europe des champions consécutives, semble en mesure de jouer les trouble-fête.

Le sélectionneur en poste : Michel Hidalgo

A l’entame de sa septième saison en tant que sélectionneur, Hidalgo sait qu’il est attendu au tournant : l’année 1981 a été éprouvante, mais il en est sorti indemne grâce à la qualification pour la coupe du monde acquise en novembre face aux Pays-Bas, et par un coup de poker consistant à aligner trois meneurs de jeu ensemble au cours de ce même match, esquisse du carré magique mis au point contre l’Irlande du Nord en juillet. Une fois la coupe du monde passée, et fort du rôle de directeur technique national qui lui est confié, Michel Hidalgo dispose de temps pour préparer l’Euro qui se jouera en France en 1984. A la fin de l’année, fort des acquis et des observations de la coupe du monde, il sait désormais qu’il doit renforcer le triangle défensif (défense centrale et milieu récupérateur) et trouver enfin un bon gardien, et qu’à ces conditions tous les espoirs sont permis.

Le récit de l’année

Autant le dire tout de suite, 1982 ne ressemble à rien. On y trouve pêle-mêle des victoires superbes (contre l’Italie en février, l’Autriche et l’Irlande du Nord en juillet) et des défaites miteuses (face au Pérou en mai ou à la Pologne fin août), des rendez-vous ratés (contre l’Angleterre en juin) et des moments historiques (face à la RFA à Séville), le tout dans une ambiance de tâtonnements tactiques, de trouvailles de génie et d’échecs considérables.

Pour autant, 1982 est une année extrêmement importante dans l’histoire des Bleus. Elle marque une rupture avec près de huit décennies d’échecs et de rêves avortés et trace la voie vers la première grande équipe de France, celle de 84-86, et de sa lointaine héritière de 1996-2002. Elle est riche en enseignements et lourde de potentialités, même dans ses échecs.

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Pour donner le ton, l’année commence par un match amical de prestige contre l’Italie, que les Bleus n’ont plus battu depuis 1920. En l’absence de Bossis, Michel Hidalgo va lancer un jeune monégasque d’à peine vingt ans, Manuel Amoros, et reconstitue le milieu offensif de France-Pays-Bas de l’automne, avec Giresse et Platini associés à Tigana. A l’heure de jeu, un petit nouveau niçois fait ses débuts, Daniel Bravo. Les Bleus jouent un football magnifique et l’emportent logiquement (2-0), Platini gagnant son transfert à la Juventus sur sa prestation. Comme en 1978, il marque un but à Zoff, Bravo assurant le résultat en fin de match.

Un mois plus tard, les Bleus sans Platini passent les Irlandais du Nord à la moulinette (4-0) sans savoir qu’ils les retrouveront au second tour du Mundial. Mais les trois matches de préparation suivants donnent de l’équipe de France un tout autre visage : deux défaites contre le Pérou en avril et le Pays de Galles début juin (0-1 à chaque fois) et entre les deux, un nul face à la Bulgarie en mai (0-0). Aucun but marqué en trois rencontres, des essais pas convaincants en charnière centrale (Specht-Bathenay, Mahut-Trésor, Lopez-Trésor), des gardiens qui ne s’imposent pas (Baratelli, Ettori et Castaneda, tous trois dans la liste des 22) et au final plus d’inquiétude que de satisfaction.

C’est dans cette ambiance morose que débute le Mundial espagnol, par une cuisante défaite face à l’Angleterre dans un stade de Bilbao bouillant ou Ettori et ses copains se font saisir d’entrée par un but de Robson (27 secondes) avant de lâcher prise dans la dernière demi-heure (1-3). Le groupe ne vit pas bien du tout, Platini peste contre certains de ses coéquipiers (Marius Trésor entre autres), Six et Tigana ne sont pas contents de leur sort et Hidalgo a bien du mal à préparer la suite.

17 juin 1982 : au lendemain de France-Angleterre, le moral est dans les chaussettes. Séville est alors bien loin.

Une victoire facile contre le Koweït (4-1) remet les Bleus sur les rails, mais il faut au moins un nul face à la Tchécoslovaquie pour accéder au second tour. Nul il y aura, mais au prix d’une immense frayeur après l’égalisation tchèque sur un pénalty de Panenka (tiré normalement) et un sauvetage d’Amoros sur la ligne après une action confuse devant les cages d’Ettori.

Du coup, les Bleus sortis deuxièmes ont la chance de tomber dans le groupe (de trois) le plus facile, celui de l’Autriche et de l’Irlande du Nord. Sans Platini, mais avec un excellent Bernard Genghini, l’équipe de France fait ce qu’elle veut contre les Autrichiens (1-0), avant de cartonner pour la deuxième fois de l’année contre les malheureux Irlandais (4-1). Entre les deux matches, une polémique étonnante a pris corps dans la presse : les Bleus ne jouent-ils pas mieux sans Platini ?

C’est sans pression mais avec beaucoup d’espoir que l’équipe de France affronte la RFA à Séville, ce 8 juillet 1982 qui va entrer dans l’histoire. On ne va pas revenir en détail sur ce match (parce qu’on l’a déjà fait ici), sans doute l’un des plus célèbres des Bleus, sinon pour dire que c’est la dernière fois que la sélection tricolore fera preuve de naïveté à ce niveau de compétition. Mais elle a découvert deux choses très importantes en Andalousie ce soir-là, et le public français avec elle : un match peut très bien basculer dans les dernières minutes, et une victoire mondiale est désormais possible.

Le retour sur terre ne tarde pas : battus par la Pologne à Alicante en match de classement lors d’un festival d’erreurs défensives (2-3), les Bleus sont à nouveaux sévèrement corrigés sept semaines plus tard par les mêmes Polonais en amical au Parc avec ce qui reste la pire déroute à domicile de ces soixante dernières années (0-4). C’est la dernière fois que la défense des Bleus se permet de telles largesses. Il faudra attendre 26 ans pour voir l’équipe de France encaisser quatre buts (Pays-Bas 2008, 1-4).

La période qui s’ouvre n’offre que des marches amicaux pendant 18 mois, jusqu’à l’Euro qui se jouera à domicile. L’occasion de faire des essais, comme Jean-Marc Ferreri (Pologne), Laurent Roussey (Hongrie) et surtout Luis Fernandez (Pays-Bas). Le milieu défensif du PSG, placé devant la défense, est la pièce du puzzle qui manquait à Michel Hidalgo pour former ce qui deviendra son carré magique (avec Platini, Tigana et Giresse). L’année se termine donc sur deux victoires contre les Hongrois au Parc (1-0) et contre les Pays-Bas à Rotterdam (2-1) parmi lesquels on découvre deux jeunes prometteurs, Ruud Gullit et Frank Rijkaard.

Les joueurs de l’année

Quinze matches disputés (record pour une seule année à l’époque), trente-sept joueurs appelés : 1982 aura donné l’occasion à Michel Hidalgo de faire un grand brassage avant et après la coupe du monde, au cours de laquelle il aura fait jouer 21 des 22 joueurs de sa liste (tous sauf Baratelli, troisième gardien). Dix nouveaux arrivent chez les Bleus, presque tous après le Mundial (sauf Amoros, Bravo et Couriol). Si Roussey, Ferratge, Tempet et Brisson ne feront que passer, Ferreri et surtout Luis Fernandez débutent une longue carrière.

Aucun joueur n’a participé à tous les matches, Marius Trésor (13) étant le plus assidu devant Bossis et Tigana (12), Amoros, Giresse et Soler (11), Platini et Six (10). Viennent ensuite Genghini et Janvion (9) puis Ettori et Couriol (8), soit à peu près l’équipe de Séville contre la RFA.

Les buteurs de l’année

Ce n’est pas l’année la plus prolifique de Michel Platini, mais il a tout de même inscrit quatre buts, dont deux au Mundial. Viennent ensuite Genghini et Giresse (3), Couriol, Six et Rocheteau (2).

La révélation de l’année

Manuel Amoros a donc tout juste vingt ans quand Michel Hidalgo l’appelle contre l’Italie à la place de Bossis forfait. Aligné côté droit de la défense, il fait un match remarquable de sang-froid et de maturité, à tel point que trois mois plus tard, il fait logiquement partie de la liste des 22. Tout d’abord comme remplaçant de Battiston, puis comme titulaire à partir du Koweït. Face à la Tchécoslovaquie, il sauve les Bleus d’une tête salvatrice sur la ligne, mais il est suspendu contre l’Autriche. Il retrouve sa place face à l’Irlande du Nord et sort un match incroyable d’intensité contre la RFA où il repasse à gauche, Bossis glissant à droite. On se souvient de sa frappe de 25 mètres à une minute de la fin du temps réglementaire, qui s’écrase sur la barre de Schumacher et entraîne les Bleus en prolongations. Et de son sang-froid lors de la séance de tirs au but où il est aligné comme deuxième tireur. En fin d’année, le passage de Bossis en défense centrale lui libère le couloir gauche dont il sera le titulaire jusqu’en 1989, où il repassera à droite.

Carnet bleu

En 1982, on note les naissances de Marc Planus (le 7 mars) et de Philippe Mexès (le 30 mars). Et le décès d’Henri Hilt, né en 1910.

Vos commentaires

  • Le 10 mars 2022 à 11:40, par Alcibiade En réponse à : 1982, une année dans le siècle

    Bonjour, je me permets de signaler deux coquilles dans le texte :
    1/ Daniel Bravo n’est devenu monégasque qu’à l’été 83 (en 82 il jouait encore à Nice)
    2/ François Brisson connaitra une deuxième (et ultime) sélection en 84 face au Luxembourg
    Sinon j’apprécie particulièrement la chronique « une année dans le siècle », serait-il possible d’avoir la suite à partir de 1988 ? Merci en tout cas pour ce super site

  • Le 11 mars 2022 à 09:48, par Bruno Colombari En réponse à : 1982, une année dans le siècle

    Bonjour. Merci pour les précisions, j’ai corrigé pour Bravo. Pour Brisson, je n’ai pas dit qu’il n’avait qu’une seule sélection, pas plus que Roussey d’ailleurs.

    La série « une année dans le siècle » est ancienne et pour l’instant pas prolongée. Mais ça reste une éventualité, même si la priorité est plutôt à actualiser les articles statistiques. En tout cas je note cette proposition, qui est bienvenue.

    A bientôt, et merci pour votre fidélité.

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