5 juin 1986 : France-URSS

Publié le 12 janvier 2021 - Bruno Colombari - 1

Les deux plus belles équipes européennes du moment s’affrontent prématurément sur la pelouse de Leòn, au premier tour du Mundial 1986. Les Bleus doivent gagner afin d’éviter un tableau irrespirable pour la suite de la compétition.

8 minutes de lecture
Mise à jour d’un article initialement paru en mars 2018.

Le contexte

Pourquoi revenir sur un match de premier tour de Coupe du monde ? Parce qu’il est paradoxal. Cette équipe-là, essentiellement composée de joueurs du Dynamo Kiev qui venait de remporter la Coupe des Coupes de manière éclatante, était l’une des postulantes à la victoire finale. Sa trajectoire l’amènera d’ailleurs en finale du championnat d’Europe 1988, seulement stoppée par la jeune sélection néerlandaise.

Mais surtout parce que c’est sans doute ce 5 juin à Leòn que les Bleus ont perdu la Coupe du monde. Et ce, alors même que le match nul (1-1) associé à la victoire initiale face au Canada (1-0), les plaçait en position favorable pour la qualification en huitième de finale, sous réserve de prendre au moins un point face à la Hongrie lors du troisième match.

Le problème de ce match nul, c’est d’une part qu’il ne permettait pas de rotation d’effectif lors du match suivant, ce qui aurait donné l’occasion à Platini, Giresse et Bossis, par exemple, de souffler avant de passer aux choses sérieuses, ce qui, dans le contexte mexicain (altitude, Leòn est à 1800 mètres, et chaleur, les matchs se jouent pour la plupart à midi) et avec une équipe plutôt âgée, n’est pas anodin.

D’autre part, les Soviétiques ayant écrabouillé les Hongrois trois jours plus tôt (6-0), un nul condamne donc les Bleus à la deuxième place. Et si cette dernière est qualificative, elle les envoie dans une partie de tableau qui ressemble à un parcours du combattant : Italie (tenant du titre) en huitième, Brésil en quart et RFA en demie.

En battant l’URSS et en finissant en tête de son groupe, l’équipe de France aurait croisé la Belgique, l’Espagne et l’Argentine sur la route de la finale, où elle aurait probablement défié le Brésil. L’histoire aurait alors pu être différente.

Après la victoire laborieuse arrachée au Canada le 1er juin, Henri Michel procède à deux changements : en défense, Thierry Tusseau est remplacé par William Ayache et Manuel Amoros repasse à gauche, alors qu’en attaque Yannick Stopyra est préféré à Dominique Rocheteau et associé à Jean-Pierre Papin, qui a fait grand étalage de maladresse. Le milieu « carré magique 1984 » est inchangé (Fernandez, Tigana, Giresse et Platini) de même que l’axe défensif Battiston-Bossis chargé de protéger Joël Bats.

Côté soviétique, Valery Lobanovski aligne l’équipe qui a mis un set à la Hongrie. C’est en gros le Dynamo Kiev renforcé par l’immense gardien du Spartak Moscou Rinat Dasaev, le latéral droit du Zénith Leningrad Nikolaï Larionov et du milieu défensif de Minsk, Sergueï Aleinikov. En défense, Kuznetsov, Bessonov et Demyanenko se connaissent par cœur alors qu’au milieu Aleinikov, Yaremchouk et Yakovenko couvrent une surface de terrain considérable à grande vitesse pour alimenter les trois joueurs offensifs Rats, Zavarov et Belanov.

Il est midi dans le Camp Nou de Leòn, le soleil est vertical, l’ombre de la barre transversale se superpose à la ligne de but, bref, ça tape dur. Le caméraman placé entre la cage et le poteau de corner est torse nu en bermuda à fleurs, et des tribunes descendent des trilles qui semblent émis par des appeaux pour les oiseaux. Toujours mieux que les vuvuzelas !


 

Le match

Les premières minutes sont marquées par une grande prudence des deux côtés. Les équipes se respectent et ne s’engagent pas à fond, même si les Soviétiques obtiennent plusieurs corners bien écartés par la défense française. Un premier coup de chaud arrive à la 7e minute, quand Zavarov régale d’un slalom à l’entrée de la surface, s’infiltre entre Amoros et Bossis et s’effondre. « Jouez ! » indique l’arbitre brésilien Arppi Filho. Les Rouges se font pressants devant, mais sans se procurer d’occasions franches. L’équipe de france, qui joue en blanc, a passé les dix premières minutes sans dégâts, même si Zavarov place une tête bien captée par Bats (12e). Juste après Ayache cherche la tête de Stopyra au second poteau, mais Dassaev intervient.

Envie de revoir le match en intégralité (avec des commentaires en russe) ? L’indispensable Footballia s’en occupe.

A la 15e, suite à nouveau corner, Aleinokov s’appuie sur Belanov et déclenche un missile de 20 mètres qui passe au-dessus de la barre de Bats. Michel Platini ne touche pas un ballon. C’est Tigana et Fernandez qui organisent le jeu en position basse. Papin, que l’on n’a pas encore vu, tente de couper une passe de Stopyra côté gauche, mais il est un poil trop court (17e). A la 21e, Platini commence à se montrer : du rond central, il adresse une passe laser à Stopyra qui file plein axe et tente sa chance à 25 mètres, obligeant Dassaev à dégager des deux poings.

Les deux équipes évoluent de la même façon : par passes courtes redoublées pour remonter le terrain, puis en cherchant la profondeur dans les trente derniers mètres. Mais les Bleus évoluent en bloc bas et ferment les espaces, alors que la défense soviétique monte jusqu’au rond central.

Les Bleus gagnent la bataille du milieu
A la 30e, une percée verticale Tigana-Giresse est stoppée irrégulièrement par Rats qui écope d’un jaune. Le coup franc, à 28 mètres, est trop loin pour Platini qui préfère chercher la tête de Stopyra, trop croisée. C’est le début d’un dernier quart d’heure dominé par les Français. Sur un nouveau coup fran lointain de Platini, Belanov, sorti trop tôt du mur, écope aussi d’un carton (33e).

La bataille fait rage au milieu, où les ballons se perdent. Sur une récupération de Platini, Papin est lancé en profondeur et arme un tir croisé sans danger pour Dasaev (37e). Les Bleus pressent, et à la 42e, Amoros est crocheté à 25 mètres. Cette fois, l’angle est bon pour Platini qui frappe un tir tendu qui trouve l’arrête de Dasaev, largement battu (42e).

Mi-temps, 0-0. Sur la première période, on peut dire que les Bleus ont fait jeu égal, et ont même pris l’ascendant dans le dernier quart d’heure, avec la montée en puissance de Platini.

Rats 1, Bats 0
Les premières minutes sont soporifiques. Les deux équipes ont du mal à remettre les gaz, et les Bleus ne sortent plus de leur moitié de terrain. Sans vraiment accélérer, les Soviétiques s’insallent devant. Et ce qui devait arriver arriva : à la 55e, une relance défaillante de Battiston de la tête est récupérée par Aleïnikov qui remet en retrait sur Rats. A 20 mètres, le milieu de Kiev déclenche une frappe tendue du gauche qui vient se loger dans la lucarne de Bats.

Ce but réveille tout le monde. Les Bleus montent d’un cran et appliquent un pressing féroce sur les porteurs du ballon. Ils se souviennent que leur deux défaites de 1985, en Bulgarie et en RDA, ils n’étaient jamais revenus dans le match après avoir encaissé le premier but (0-2 à chaque fois). Autant dire qu’un deuxième but des CCCP serait certainement fatal.

Zavarov sort, Fernandez marque
C’est alors que Lobanovski décide de remplacer Alexandre Zavarov par le vieillissant Oleg Blokhine, dont le jeu individualiste se prête mal au mouvement perpétuel soviétique. Mauvaise idée, assurément. Pendant ce temps, les Bleus continuent de pousser. A la 60e, ils obtiennent un bon coup franc pour une faute sur Stopyra lancé en profondeur par Bossis. Distance platinienne, à 20 mètres décalé sur la gauche de l’arc de cercle. La frappe enroulée frôle la lucarne de Dasev qui était trop court.

La prochaine sera la bonne : sur une attaque parfaitement menée côté droit, Giresse trouve Fernandez d’une passe en rupture exquise, et le milieu du PSG exécute Dasaev à dix mètres (1-1, voir le détail de l’action dans la séquence souvenir ci-dessous).

Le dilemme de Michel
Que va faire Henri Michel ? Tenter de pousser encore pour arracher une victoire précieuse, en sortant Papin pour replacer Stopyra dans l’axe ? Se contenter du nul qui rapproche les Bleus des huitièmes de finale ?

Au milieu, Fernandez continue son travail de ratissage systématique de tout ce qui traine. L’équipe de France est en confiance, et la mécanique rouge bien huilée semble moins sûre. Les espaces se referment, et les Bleus appliquent un pressing féroce qui ne asphyxie le jeu adverse. Bossis met la main sur Belanov et ne le lâche plus. Des olés moqueurs descendent des tribunes du Nou Camp de Leòn. Rodionov remplace Yakovenko au milieu de terrain. Lobanovski cherche la solution.

Papin manque la balle de break
C’est alors qu’arrive à la 71e la plus nette occasion française de la fin du match. Sur un ballon récupéré près de la touche gauche, Luis Fernandez trouve Stopyra de l’autre côté. L’attaquant français, au duel avec Demyanenko, passe les épaules et accélère. Son centre trouve Papin dans la surface. Sur la ligne des 5,50 mètres, l’avant-centre de Bruges place une tête plongeante dans les pieds de Dasaev, alors qu’une volée du pied aurait sans doute été plus indiquée.

Les Bleus commencent à plonger physiquement, et les Soviétiques en profitent. De son camp, Kuznetsov place une longue ouverture pour Rodionov qui devance Ayache, et dont le tir croisé du gauche longe la ligne de Bats avant de sortir près du poteau (75e).

Pourquoi Bellone plutôt que Rocheteau ?
Henri Michel choisit alors de remplacer Papin par Bellone, ce qui replace Stopyra en pointe, à une place où il va désormais briller. Dommage que le duo qu’il va former avec Dominique Rocheteau n’ait pas été tenté dès ce match-là. Bellone est quand à lui volontaire, mais brouillon. Il camionne les défenseurs soviétiques qui obtiennent des coups francs de dégagement, ce qui n’est pas le but.

Complètement rincé, Alain Giresse est remplacé à la 83e par Philippe Vercruysse, que l’on reverra en demi-finale contre la RFA, dans le même rôle mais toujours sans impact. Les Soviétiques pressent de plus en plus, obtiennent des corners sur lesquels Bats veille au grain. Sur l’un d’eux, c’est Bossis qui sauve sur la ligne alors que le gardien parisien avait relâché le ballon.

Yaremchouk, dernier frisson
Ce ne sera pas la dernière alerte. Sur un ballon piqué par Belanov dans les pieds de Tigana, les Rouges déclenchent une offensive via Blokhine, qui remet sur Alzinikov dont la passe trouve Yaremchouk dans la surface, décalé sur la droite. Le milieu soviétique, victime de crampes, dévisse complètement sa frappe devant Bats (87e). C’est fini. Les Bleus n’ont plus les jambes pour aller chercher la victoire, et le nul est une bonne opération pour l’URSS qui assure ainsi sa première place.

La séquence souvenir

L’heure de jeu vient d’être dépassée. L’URSS mène depuis cinq minutes et les Bleus poussent pour égaliser rapidement. Sur une faute de Rats sur Ayache, les Bleus se dégagent près de leur surface. Ayache passe à Giresse qui trouve Stopyra d’une ouverture de 40 mètres, le long de la touche. Le Toulousain contrôle, se retourne, donne à Platini en retrait qui retrouve Giresse. A 30 mètres de la cage de Dasaev, le Bordelais freine sa course, voit Fernandez lancé et le sert d’une merveille de passe en cloche. Le ballon arrive exactement sur le pied droit du Parisien, un poil en arrière. A hauteur du point de penalty, Fernandez s’emmène le ballon et met un plat du pied sur la gauche de Dasaev. L’action est limpide. Elle rappelle d’ailleurs le premier but de Luis en sélection, en 1983, contre l’URSS et Dasaev, déjà.


 

Le Bleu du match

Luis Fernandez. A 26 ans, le milieu défensif du PSG fête sa trentième sélection au sein du carré magique où il a pris la place de Bernard Genghini. Déjà essentiel à l’Euro 1984, il franchit un palier au Mexique où il forme avec Battiston, Bossis et Tigana un quatuor défensif quasi-infranchissable. Son activité au milieu est débordante. Il ratisse, récupère, relance, coupe les passes, et a même la présence d’esprit de percer dans la surface pour recevoir une offrande de Giresse et d’égaliser avec un sang-froid d’avant-centre. A lui seul ou presque (Tigana a été plus effacé), il a complètement déréglé le jeu soviétique.

L’adversaire à surveiller

Igor Belanov. L’attaquant du Dynamo Kiev est inarrêtable depuis quelques semaines. Déjà brillant en club en Coupe d’Europe, il a rendu fou les défenseurs hongrois avec son compère Alexandre Zavarov. Mais là, il a affaire à un client : Max Bossis, qui ne va pas le lâcher, jusqu’à la ligne de touche s’il le faut. Alors qu’il a mis la défense hongroise au supplice au premier match et qu’il va récidiver en huitièmes contre la Belgique, on le verra très peu face aux Bleus, hormis dans le premier quart d’heure et en toute fin de rencontre quand il sème Tigana. Six mois plus tard, il obtiendra le Ballon d’Or France-Football.

La petite phrase

Après la rencontre, Max Bossis expliquera son positionnement de stoppeur au marquage de Belanov. « Henri michel m’a demandé si je voulais le faire. C’est quelque chose qui me motivait et c’est ainsi que je suis devenu stoppeur pour le reste du Mondial. Mais ce n’était pas du tout prémédité. » [1]

la fin de l’histoire

Après une belle victoire contre la Hongrie (3-0), les Bleus montent en régime et sortent l’Italie à Mexico (2-0) et jouent un match himalayesque face au Brésil à Guadalajara (1-1, 4-3 aux tirs au but). Lessivés physiquement et moralement (Henri Michel ne fait quasiment aucune rotation), ils craquent en demi-finale contre une RFA pourtant prenable (0-2) et finissent troisièmes après une ultime victoire contre la Belgique (4-2 après prolongations). La superbe équipe soviétique, après avoir battu le Canada (2-0) chute inexplicablement dès les huitièmes face à une équipe belge coriace et bien aidée par l’arbitrage (3-4 après prolongations). Dommage, on aurait bien aimé voir ce qu’elle aurait donné en demi contre l’Argentine de Maradona.

[1Cité dans L’année du football 1986 de Jacques Thibert, éditions Calmann-Lévy.

Vos commentaires

  • Le 12 janvier 2021 à 08:40, par Bernard Diogène En réponse à : 5 juin 1986 : France-URSS

    La France a-t-elle vraiment perdu la coupe du monde ce jour-là ?
    Est-ce que la RFA, qui a également dû attendre le 3ème match de poule pour se qualifier et a éliminé le Mexique aux tirs aux buts, était en meilleure forme en demi-finale ?
    Est-ce que de toute façon l’Argentine était imprenable en juin 1986 ?
    Difficile d’être catégorique dans un sens comme dans un autre.

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