La question de l’amateurisme a toujours constitué un point d’achoppement entre le CIO et la FIFA, en raison de la règle 26 de la Charte olympique, qui stipule que : « un concurrent, pour être admis aux Jeux olympiques ne peut avoir reçu de rémunération financière ou obtenu des avantages matériels pour la pratique du sport ». Malgré les efforts du président de la FIFA Jules Rimet, à la fin des années 20, qui observait l’expansion irrésistible du professionnalisme en Europe et anticipait celle de l’Amérique du Sud, le CIO était resté inflexible, ce qui avait conduit la FIFA à prendre la décision drastique de sortir du cadre olympique et à créer sa propre compétition, ouverte aux professionnels comme aux amateurs, la Coupe du Monde.
La FIFA ne l’avait jamais vraiment envisagé auparavant, sinon en théorie, en raison des difficultés financières d’une telle organisation, qui n’existaient pas lorsque le tournoi de football était inséré dans les Jeux olympiques, le financement dépendant du CIO et des pays hôtes des Jeux. La FIFA se bornait à une délégation d’ordre technique du tournoi.
La situation était restée bloquée jusqu’en 1980, en dépit du professionnalisme déguisé que constituait le fonctionnariat des pays communistes, qui leur avait permis de truster tous les titres olympiques depuis 1952, les vrais amateurs se contentant des miettes. En dépit de l’existence de sa Coupe du monde, la FIFA continuait de régir techniquement le tournoi olympique, en acceptant la définition obsolète de l’amateurisme sur laquelle s’obstinait le CIO, fermant les yeux sur l’inégalité de fait créée par la situation du football dans les pays communistes.
Le tour de passe-passe de Samaranch
C’est l’espagnol Antonio Samaranch, élu président du CIO en juillet 1980, qui a fait bouger les lignes, au Congrès de Baden-Baden en 1981. Pas question, certes, d’abolir la règle 26, à laquelle trop de dirigeants conservateurs étaient attachés. Pour eux, si on laissait la porte ouverte aux professionnels, ils auraient tôt fait de tout envahir, et l’amateurisme, qui constituait à leurs yeux l’ADN de l’esprit olympique, disparaîtrait : ils n’avaient pas tort. Samaranch s’y est donc pris subtilement. Il a fait ajouter à la règle 26 la phrase suivante : « l’observation de cette règle ne doit pas créer d’inégalité entre les concurrents », ce qui visait les athlètes des pays communistes, avantagés par leur statut. Mais pour Samaranch, c’était plutôt l’amateurisme qui était source de discrimination, parce que c’était une notion floue, recouvrant des situations diverses, allant d’un amateurisme total (l’athlète payait lui-même sa licence, son équipement et concourait bénévolement) à un faux-amateurisme où la seule différence avec un professionnel était l’absence de contrat.
Sachant pertinemment qu’il n’obtiendrait pas de majorité sur ce sujet, parce que la situation différait du tout au tout selon les sports, Samaranch eut l’idée de faire rajouter, dans les textes d’application de la règle 26 (mais pas dans la règle elle-même), la phrase suivante : « chaque Fédération Internationale est responsable de la rédaction du code d’admission à son sport ». Le mot professionnel n’est pas mentionné, mais cette formulation permet tout, à l’unique condition que les concurrents ne touchent pas d’argent pour participer aux Jeux. Mais ils peuvent en toucher avant, et après, pour la pratique du football, hors tournoi préolympique et hors tournoi final.
La FIFA l’a parfaitement compris, mais elle se trouvait en fait piégée, le cadeau était empoisonné ! Si elle admettait sans restriction les professionnels aux Jeux, comme l’avait demandé Rimet en 1928, la Coupe du monde se trouverait dotée d’un doublon, plus prestigieux. C’était inenvisageable, et la préoccupation de la FIFA, loin de se réjouir de l’ouverture des Jeux aux pros, fut de protéger sa compétition-phare…
Une règle à deux vitesses, mais sans effet
C’est pourquoi elle imagina, dans un premier temps, de n’ouvrir la compétition olympique qu’à des internationaux B. Elle n’alla toutefois pas jusque-là, se bornant à stipuler que les joueurs ayant participé à un match de Coupe du monde, tant de qualification que de phase finale, ne pourraient être qualifiés. On notera qu’une discrimination en remplaçait une autre, puisque cette exclusion ne s’appliquait qu’à l’UEFA et à la Conmebol, c’est-à-dire aux pays européens et d’Amérique du Sud. Mais pas aux autres, ceux des confédérations africaine, asiatique, ni à la Concacaf. L’esprit de la règle 26 (pas d’inégalité entre les concurrents) était donc trahi, mais personne ne s’en soucia, dans l’euphorie de l’ouverture des Jeux au professionnalisme.
La règle 26 a depuis disparu de la Charte olympique : vous pouvez l’y chercher, vous ne la trouverez pas. Cela s’est fait sans bruit… Et l’amateurisme a complètement disparu également aujourd’hui, dans l’indifférence la plus complète, qui tranche avec les élans lyriques du passé, sur la « pureté » des amateurs ! Quant à la discrimination créée entre les pays d’Europe et d’Amérique du Sud et les autres, elle n’a servi à rien, puisqu’en 1984, on retrouvera en demi-finales Brésil, France, Italie et Yougoslavie, et pas un seul pays d’Afrique (Cameroun, Egypte, Maroc) ni d’Asie (Arabie saoudite, Irak, Qatar) ni de la Concacaf (Canada, Costa Rica, USA), bien qu’ils aient été 9 sur les 16 concurrents du tournoi. Les doublures des Européens et des Sud-Américains étaient encore trop fortes…
Dernier tour de piste des pays de l’Est en 1988
Quant au problème des pays communistes, il a été règlé par leur boycott : l’URSS et l’Allemagne de l’Est, qualifiées à l’issue du tournoi préolympique, ont déclaré forfait, la Yougoslavie restant le seul représentant du bloc communiste : toutefois, ils avaient bel et bien perdu leur avantage. En 1988, plus de boycott, d’où la présence, pour la dernière fois, de l’URSS en demi-finales, avec la Yougoslavie, l’Italie et le Brésil encore, l’Allemagne de l’Ouest (dont la réunification n’allait pas tarder, mais personne ne le devinait alors), mais pas de la France, éliminée à l’issue du tournoi préolympique (par la Suède).
Il faut dire que les Européens n’avaient droit qu’à 4 places sur 16, d’où un écrémage sévère, toujours en vigueur, puisque le format olympique n’a pas évolué, contrairement à celui des Coupes du monde, qui est maintenant… du triple ! Ce qui explique que, si la qualification de la France pour les phases finales de Coupe du monde est devenue systématique, et la phase de qualification, une formalité, il n’en va pas de même pour les Jeux olympiques, d’où la France a été souvent absente des tournois finaux.
Reste maintenant à évaluer la valeur des équipes championnes olympiques, à la lueur du changement de règlement, qui ne permet plus à des internationaux A, sélectionnés pour les matchs de Coupe du monde, les plus importants, donc, de postuler, ce qui élimine toutes les vedettes. Ne subsistent que des internationaux A occasionnels, aux côtés d’internationaux B (cette sélection, rebaptisée A’, a existé jusqu’en 2008 en France, mais est en sommeil depuis) qui, par définition, ne se sont pas imposés à l’échelon au-dessus. Il est donc évident que le tournoi olympique s’en est vu dévalorisé. Pourtant, du point de vue français, cocorico, cette nouvelle règle a permis à l’équipe de France de gagner son premier et dernier titre olympique (à moins que, cette année …).
En 1984, un choix par défaut pour Henri Michel
Il est intéressant d’examiner comment Henri Michel a composé son équipe. En accord avec Michel Hidalgo, il a retenu des joueurs qui avaient connu la sélection, mais en match amical, et sur lesquels Hidalgo ne comptait pas pour l’Euro 84 (sauf exception, on le verra), plus quelques autres, qui n’ont jamais connu la sélection : José Souto, Jean-Marc Pilorget, Guy Lacombe, Patrick Cubaynes, Bernard Bureau, Gérard Lanthier : parmi eux, seuls Lacombe et Cubaynes quelques minutes (grâce à Daniel Xuereb, bon camarade, qui les lui a offertes) ont joué la finale.
Les deux exceptions dont je parlais plus haut furent le gardien Albert Rust, qui fut appelé à l’Euro, mais sans jouer, et Jean-Marc Ferreri, qui joua un match de qualification olympique (face à l’Allemagne de l’Ouest) : mais Hidalgo décida de le récupérer, et le reprit à Henri Michel, qui n’avait pas son mot à dire… Michel dut aussi se passer, à partir des demi-finales, de son élément le plus doué, José Touré, pour blessure. Et il dut recomposer sa défense pour la finale, en raison des blessures de Didier Sénac et Jean-Christophe Thouvenel, ce qui fit le bonheur de Michel Bibard et Jean-Louis Zanon.
Les William Ayache, Dominique Bijotat, Jean-Claude Lemoult, François Brisson et Daniel Xuereb (son buteur n°1) avaient connu une sélection A ou deux, pas plus. Ils en récoltèrent par la suite quelques-unes ( Bijotat et Xuereb en totalisent 8) ; Rust et Bibard jouèrent le match comptant pour la troisième place de la Coupe du monde 1986 et le gagnèrent, tandis qu’Ayache fut titulaire lors de cette même Coupe du monde ; c’est lui qui totalise le plus grand nombre de sélections des Olympiques (20, dont une seule avant le tournoi olympique de Los Angeles). Pour sa part, Xuereb joua quelques minutes de la demi-finale perdue contre l’Allemagne.
Devenu sélectionneur des A, Henri Michel donna leur chance à quelques-uns de ses ex-olympiques, comme Bibard, Jeannol, Sénac, Rohr, Touré, mais aucun ne fit ce qu’on peut appeler une grande carrière internationale. On peut donc dire que cette équipe de France a été composée avec des doublures, de qualité, certes, mais des doublures. Pour l’anecdote, on peut se référer au témoignage de Daniel Xuereb, donné 30 ans plus tard dans L’Equipe : « L’accueil a été froid ; On a senti une réticence des autres sportifs français. Ils nous ont snobés. On passait pour des pros richissimes qui n’avaient pas leur place aux jeux. Quelle hypocrisie ! » Ce qui prouve bien l’existence alors d’un fossé avec les autres sportifs, habitués à leur faux-amateurisme et jaloux des sommes gagnées dans leurs clubs par les pros du foot… Et il ajoute que, revenus en France, leur titre n’a absolument pas été fêté, même pas par la FFF !
En 1988, un tournoi un peu trop qualitatif pour la FIFA
C’est dire à quel point la solution hybride choisie par la FIFA gênait aux entournures le monde du sport, et les choses ne se sont pas arrangées en 1988, malgré un tournoi dont la valeur était intrinsèquement supérieure, puisque vierge de tout boycott. Mais voilà, le titre olympique est revenu à l’URSS, et c’était visiblement ce que le CIO voulait éviter, d’autant que l’URSS avait bien failli remporter l’Euro deux mois auparavant, stoppée par les Pays-Bas en finale. Autre grief, aux yeux de la FIFA cette fois, la qualité du tournoi, qui le faisait un peu trop ressembler à ce qu’il redoutait par-dessus tout, une Coupe du monde bis. Qu’on en juge : on a eu droit, en quart de finale, à un somptueux Brésil-Argentine (1-0), suivi, en demi-finale, d’un Brésil-Allemagne (1-1) qui s’est terminé aux tirs au but, tandis que l’URSS, de son côté, éliminait l’Italie ! Et, en finale, URSS-Brésil.
Dans l’équipe brésilienne, figurent le gardien Taffarel (champion du monde 1994 et finaliste 1998), ainsi que les deux stars Bebeto et Romario, qui gagneront la Coupe du monde 1994. Dans celle d’URSS, ne figure qu’un seul des champions d’Europe 1988, mais pas n’importe lequel, l’ukrainien Olekseï Mikhaïlitchenko, ainsi qu’Igor Dobrovolsky et Viktor Losev, qui avaient joué contre la France en match qualificatif pour l’Euro 88, Gorlukovitch, qui allait disputer la Coupe du monde 1990, la dernière de l’URSS. Rappelons, pour les moins de 45 ans, que l’URSS, fédérant 15 républiques aujourd’hui indépendantes, combinait alors les forces de la Russie, de l’Ukraine, la Géorgie, la Bieélorussie, ce qui la rendait autrement plus forte qu’actuellement chacune de ces 15 sélections… Quant à l’Allemagne de l’Ouest, elle alignait Klinsmann, Riedle et Hässler, qui allaient devenir champions du monde en 1990 !
La France, pour sa part, n’a pas pris part à la fête : en 1984, toutes ses sélections, la A (à l’Euro) et la B (aux Jeux) brillaient, démontrant la richesse du réservoir français… sauf que quatre années plus tard, le tableau était inverse. La sélection A était éliminée de l’Euro 88, puis de la Coupe du monde 1990 lors des qualifications, et la sélection B éliminée, lors du tournoi préolympique. Mêmes causes, mêmes effets : une relève décevante, de façon inattendue : les Kastendeuch, Fargeon, Pardo, Paille, Dib, Micciche échouaient, Garande étant l’élément commun aux tournois de 84 et 88 : une seule victoire en 8 matchs (Espagne 2-1) et 4 défaites, dont deux contre la Suède, qui ne dépasserait pas le stade des quarts de finale à Séoul. Le football français retrouvait (passagèrement, par bonheur) le niveau qui avait été le sien entre 1960 et 1980.
Le tableau des Jeux de Séoul, sans la France, est donc somptueux, on n’a plus l’impression de voir des doublures. C’en est trop pour la FIFA, qui va s’attacher à affaiblir le tournoi olympique, toujours dans l’optique de ne pas faire de l’ombre à son fleuron, la Coupe du monde.