Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

Publié le 22 janvier 2011 - Bruno Colombari - 9

Trois fois dans son histoire, l’équipe de France a eu dans son jeu un carré d’as, talents complémentaires qui ont entraîné des années fastes. Le premier de la série, celui qui a illuminé le milieu des années 80, était en fait un losange. Bienvenue chez les Fertigipla.

4 minutes de lecture
Contre le Portugal à Marseille en 1984
Le Roux, Battiston, Bossis, Domergue, Bats et Fernandez ; Lacombe, Giresse, Platini, Tigana, Six.

Prenez un ex-facteur du quartier des Caillols épais comme un escrimeur, une petite frappe des Minguettes qui adore provoquer, un technicien bordelais haut comme trois pommes et un fils d’immigré italien qui a de l’or dans les pieds. Disposez-les judicieusement autour du rond central, donnez-leur les clés du jeu et vous obtenez la combinaison gagnante au loto, le plus beau carré magique de l’histoire des Bleus, et peut-être de l’histoire du football. Installé entre 1983 et 1986, il atteint son rendement maximum en 1984 qui n’était pas une année de coupe du monde, hélas. Voici son histoire.

Le graphique ci-dessus montre bien la mise en place progressive du carré magique avec les arrivées de Tigana en 1980, de Giresse en 1981 et de Fernandez fin 1982, ses années fastes entre 1983 et 1986 et sa dislocation à partir de 1987. Au total, ses quatre membres auront joué sur un intervalle de 18 ans, entre la première sélection de Giresse en 1974 et la dernière de Fernandez en 1992.

Une composition-type lors de la coupe du monde 1986.

Avant ce carré, il y a eu d’abord une ébauche, plus offensive, avec Tigana-Genghini-Giresse-Platini formé pour la première fois le 4 juillet 1982 à Madrid pour France-Irlande du Nord (4-1) et conservé pendant la première mi-temps de France-RFA (3-3). Si Jean Tigana joue son rôle de relayeur habituel, Bernard Genghini évolue un peu plus bas qu’en club, où il est plutôt milieu offensif. Son manque d’impact physique et une défense centrale peu rigoureuse (Trésor-Janvion) mettent les Bleus en danger à chaque perte de balle.

Après la coupe du monde, Genghini perd sa place de titulaire, plombé par la mauvaise saison de Saint-Etienne où il a remplacé Platini parti à la Juventus. L’émergence du jeune Luis Fernandez, dans un rôle plus défensif et plus physique, va permettre la mise en place d’un carré magique plus équilibré que le précédent.

L’absence de Giresse (sur blessure) à l’automne 1982 va retarder un peu cette configuration, dont la première apparition a lieu le 16 février 1983 à Guimaraes, où les Bleus baladent le Portugal (3-0). Fernandez, Giresse et Platini sont titulaires, et Tigana remplace Ferreri à la 63e. Comme Fernandez sort à un quart d’heure de la fin, ce premier carré magique n’a que douze minutes d’existence. Il faudra attendre un an pour le revoir, l’année 1983 ayant donné lieu à de nombreux essais [1] pas toujours concluants [2]

23 juin 1984, à Marseille.
Point culminant du carré magique contre le Portugal (3-2 après prolongations)

Le 29 février 1984, face à l’Angleterre, Fernandez, Tigana, Giresse et Platini sont alignés ensemble, derrière une attaque Touré-Bellone. Platini marque deux fois et la France signe la première de ses douze victoires de l’année. Ces quatre-là se retrouveront régulièrement ensuite, à commencer par l’Euro bien sûr où ils laminent tous leurs adversaires et masquent les insuffisances aussi bien d’une attaque Lacombe-Six bien peu tranchante que d’une défense un peu lourde en l’absence d’Amoros (suspendu). En 1985 et 1986, c’est d’ailleurs devant et derrière que porteront les essais d’Henri Michel, tant le poste de gardien (Bats) et le milieu de terrain sont inamovibles. Leurs performances sont remarquables : si on décortique les résultats des Bleus entre le match de Guimaraes en 1983 et celui de Guadalajara en juillet 1986, la différence est flagrante.

Alignés ensemble, ils gagnent 14 fois sur 18, pour trois nuls (dont un victorieux aux tirs au but, contre le Brésil en quart de finale du Mundial 86) et une seule défaite. Hélas, c’est une défaite qui coûte très cher : concédée à l’Allemagne à Guadalajara, elle prive les Bleus d’une finale mondiale contre l’Argentine de Maradona, et elle marque la fin de l’aventure pour ce somptueux carré [3]

Car en 1986, Platini joue blessé (tendon d’Achille) sous infiltration, et Giresse, qui va sur ses 34 ans, a de plus en plus de mal à suivre le rythme, asphyxié par l’altitude et la chaleur. A tel point que certains commentateurs affirment que le carré magique a glissé vers l’arrière et qu’il se compose désormais de Battiston, Bossis (alors en défense centrale), Tigana et Fernandez.

25 juin 1986, Guadalajara.
Epuisé par le match dantesque remporté face au Brésil quatre jours plus tôt, le carré magique est aligné pour la dernière fois contre l’Allemagne (0-2).

Si on regarde maintenant les résultats entre 1983 et 1986 sans le carré magique, ou du moins quand seuls deux ou trois de ses membres sont alignés, c’est déjà moins brillant, avec une victoire sur deux. Parmi elles, une remarquable toutefois, en mars 1986 face à l’Argentine en amical, avec Ferreri et Vercuysse remplaçant Platini et Giresse. Alignés avec Tigana et Fernandez derrière eux, les deux meneurs s’en sont d’ailleurs donnés à cœur joie : 15 buts et 10 passes décisives pour Platini, 3 buts et 4 passes pour Giresse. Avec un rôle plus défensif de récupérateurs et de relayeurs, Tigana (1 but et 3 passes) et Fernandez (3 buts) se sont montrés plus occasionnellement.

Ce quatuor a cannibalisé le duo d’attaquants qui évoluait devant lui. Déjà, en 1982 (alors que Bernard Genghini évoluait plus haut que Luis Fernandez), Michel Hidalgo avait testé plusieurs formules, Lacombe-Six, Soler-Lacombe, Rocheteau-Six, aucune n’étant vraiment convaincante. En 1984, Lacombe et Six sont toujours là, et Bellone offre une alternative côté gauche. En 1986, Papin semble tenir la corde, d’abord associé à Rocheteau ou Stopyra, avant de laisser la place à ces deux-là pour les matches décisifs à partir des huitièmes. Et c’est à l’été 1987, après le départ de Giresse, Tigana et Platini, que Cantona fera ses débuts. De quoi laisser des regrets, tant une association Papin-Cantona servie par le carré magique aurait pu faire des étincelles.

La dernière apparition du carré magique (France-RFA 86)
Amoros, Bats, Ayache, Battiston, Bossis, Fernandez ; Giresse, Platini, Stopyra, Bellone et Tigana.

« Tout partait du milieu, de l’harmonie que les quatre conféraient à l’ensemble de la formation. Tantôt supplément défensif, tantôt apport offensif, ils approchaient la perfection dans leur rôle. Et puis, il y en avait toujours un pour sublimer le ballon. Si une ligne est plus forte qu’une autre, on exploite son potentiel. C’est ce qui est arrivé en 84 ... »
Michel Hidalgo, l’inventeur du carré magique.

[1Organisatrice de l’Euro 1984, la France est qualifiée d’office et ne dispute en 1983 que des matches amicaux.

[2Lemoult, Bravo, Ferreri et Touré sont ainsi testés au milieu, Genghini remplacera momentanément Tigana, aucun ne s’imposera.

[3Alain Giresse joue son dernier match international, Michel Platini raccrochera en juin 1987 comme Jean Tigana qui sera rappelé toutefois pour un match en novembre 1988 (par Platini d’ailleurs). Luis Fernandez ira quant à lui jusqu’à l’Euro 1992.

Portfolio

Vos commentaires

  • Le 25 août 2011 à 16:07, par Romain En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Pour visualiser les 18 matches du carré magique via le site SélectionA qui propose un choix « Qui joue avec Qui ? »
    http://goo.gl/Buc03

  • Le 9 janvier 2012 à 21:22, par Tietie007 En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Ce carré magique était prodigieux ! Il aurait mérité une coupe du monde !

  • Le 19 mai 2012 à 19:46, par France 84 En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Dire que le carré magique a cannibalisé le duo d’attaquants de l’équipe de France est à mon sens une grave erreur...
    Il serait plus juste de dire que le talent de buteur de l’unique Platini n’a pas permis à un autre attaquant de tenir ce rôle durant ses années de présence. Tout comme un Paolo Rossi (pourtant meilleur buteur du Mundial 1982) ou encore Boniek n’ont pas plus réussi à le faire à la Juventus de Turin alors que Michel Platini trustait la place de meilleur buteur du Calcio. Avec un n° 10 doté d’un tel talent de buteur, il est évident que des attaquants comme Bernard Lacombe (en pivot) ou des dribleurs comme Rocheteau ou Boniek capables de prendre la profondeur et entrainer les défenseurs sur de fausses pistes sont extrêmement précieux... D’ailleurs regardez quand un jouer comme Rocheteau a été le plus brillant en équipe de France ? Quand Michel Platini était plus en retrait à cause d’une blessure ou carrément absent... Les attaquant reprenaient leur role...

    Enfin et pour être complet, l’attaque de l’équipe de France subit de nombreux changement en 1982 et 1986 en raison surtout des blessures récurrentes de Dominique Rocheteau (4 buts, 4 passes décisives et 1 pénalty obtenu en 10 match de coupe du monde, excusez du peu) qui ne pourra finalement jamais jouer une compétition dans son entier...

    C’est bien les analyses mais encore faudrait-il qu’elles soient sérieuses et non pas basées uniquement sur des idées préconçues...

  • Le 19 mai 2012 à 21:16, par Bruno Colombari En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Ce que vous dites est intéressant et argumenté, sauf que je ne vois pas de contradiction flagrante entre votre propos et le mien. Parler de grave erreur à ce propos me semble donc tout à fait excessif. Et je ne me permettrai pas de mettre en cause le sérieux de votre analyse ni de qualifier vos idées de préconçues. Mais qu’importe, le web et vaste et il y a de la place pour tout le monde.

  • Le 2 février 2013 à 22:48, par Tietie007 En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Que de souvenirs !

  • Le 2 juillet 2018 à 21:57, par Pete En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Le carré magique historique était celui de 1982 composé de Michel Platini, Jean Tigana, Alain Giresse et Bernard Genghini ... et non Luis Fernandez. Rendons à César ce qui lui appartient. 4 joueurs qui jouaient tous comme un numéro 10 !

  • Le 2 juillet 2018 à 22:59, par Bruno Colombari En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Je n’ai pas dit le contraire dans mon article, si vous l’avez bien lu. Mais le carré magique version 1983-1986 était plus équilibré et plus fort que le premier, qui en plus a eu une durée de vie très brève.

  • Le 3 juillet 2018 à 10:30, par Pete En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Bonjour, j’ai bien lu votre billet vous citez en effet Bernard Genghini mais d’un autre côté vous présentez celui de 1984 avec Fernandez comme « le premier de la série ». Je trouve que la venue de ce dernier en lieu et place de Genghini, n’aura pas conféré plus de magie au dit carré. Un aspect plus défensif certes pour pallier aux manques d’une charnière peu assurée, comme vous l’expliquez fort bien mais nulle magie offensive. Ceci est une question de point de vue, bien entendu. Bien cordialement.

  • Le 10 mars 2022 à 11:50, par Alcibiade En réponse à : Les carrés magiques (1) : Tigana, Fernandez, Giresse, Platini

    Bonjour, je ne pense pas qu’il y avait une organisation géométrique type carré ou losange dans ce système. Ce faux carré est né d’un compromis d’Hidalgo qui ne jurait que par le 4-3-3. Il sacrifia un ailier (côté droit, en l’ocurrence Gérard Soler) pour installer Giresse dans un poste hydride milieu offensif droit. Le reste du milieu suivait la norme de l’époque, en 6-8-10, soit en zone comme contre les Pays-Bas en 81 (Genghini à gauche, Giresse à droite), soit le plus souvent avec des joueurs qui se placent librement (plutôt axialement) mais avec une division des tâches (6 défensif, 8 relayeur, 10 offensif). Comme vous le notez, ça a donné dans un premier temps Tigana-Genghini-Platini, puis Fernandez-Tigana-Platini. A noter également qu’en fonction des attaques - par exemple avec Rocheteau officiellement avant-centre mais dézonant souvent sur l’aile droite - Platini montait souvent en pointe et Giresse se recentrait.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Vos articles inédits